2. Le Second Age (1445 – de nos jours)
I - L'élévation du Reyksavia
Les anciens chroniqueurs valysiens disaient vrai : au début du quinzième siècle, les Reyksaviens « grandissent en force ». Héritiers d’une ancienne civilisation industrielle qui s’est effondré dans des circonstances mystérieuses, ils avaient commencé à piller les terres slaves, comme, d’ailleurs, à se protéger des princes valysiens. Les chroniques anciennes, en effet, mentionnèrent que les Jarl versaient un tribut à Khalkingrad. Elles relatèrent également les nombreuses campagnes des terribles Tsars Vladislav, en 876, et de Iakov le Sage en 983. L’absence de détails concernant ces victoires semblerait indiquer l’absence de victoires elles-mêmes : guerriers astucieux et audacieux, vivant dans d’impénétrables cités-forteresses, les Reyksaviens défendirent avec succès leur archipel. Volontiers pillards, ils n’en demeuraient pas moins des pêcheurs et des chasseurs émérites. Cela Jusqu’au début du neuvième siècle, ils n’avaient ni villes ni organisation d’Etat au sens stricte, c’est-à-dire de force politique à caractère unificateur. L’arrivée des migrants teutons, les « Asbjorn », menés par le Roi-forgeron Stalkand, fut l’impulsion qui conféra aux derniers survivants d’une race divisée, épuisée par des guerres intestines, la force qui allait revitaliser leur civilisation décadente. Le métissage ainsi que le syncrétisme culturel qui résulta de l’immigration germanique donna naissance à un peuple nouveau en quête de sa propre grandeur. En 1345, le seigneur valysien, Arstov de Nezivie, en appela au ban, parce qu’il ne pouvait venir à bout lui-même de ces insulaires impies qui faisaient de leur athéisme une fierté. Installés sur le petit territoire offert par Arstov, à proximité de la Germanie orientale, les paladins qui formèrent l’ordre de Natura ne cessèrent d’organiser de terribles attaques en riposte des pillages commit par ces « hommes du nord », qui, ironiquement, contribuèrent à édifier un Etat fort dans l’Archipel septentrional en raison de leur brutalité.
La renaissance de la nation reyksavienne relevait de ces énigmes historiques que l’on croit parvenir à expliquer de multiples manières, sans pour autant épuiser ledit phénomène. Certains hommes de science calculèrent qu’à la fin de l’« obscure période », les populations qui peuplaient le Reyksavia étaient à peu égaux par le territoire et la population : près de deux millions d’âmes et un million neuf-cent mille kilomètres carrés, soit près d’un habitant par kilomètre carré. Un siècle plus tard, le Reyksavia devint un sérieux adversaire pour le tout-puissant Tsarat valysien, et un dangereux rival pour les projets coloniaux des empires occidentaux : les domaines de l’Empereur reyksavien s’étendirent dès lors de la Germanie du nord jusqu’aux terres extorquées au royaume gaélique de Vilkurix, vers ses côtes, lui donnant dès lors la mainmise sur tous les échanges commerciaux s’effectuant dans le triangle maritime qui était le sien. Peu nombreux, se taillant un empire à la force du glaive et par le négoce, les Reyksaviens firent exception dans un monde profondément ancré dans les traditions guerrières, lesquelles étaient regardés par tous comme les valeurs fondamentales qui le cimentaient.
L’apparition de l’ordre de Natura, ainsi qu’il a été spécifié, avait engendré un danger contre lequel les « Kriegsheer », les « Gautler » et les « Kurfust » unirent leurs forces. Entre 1345 et 1387, on comptait cinq grand raids contre les Gaels, et vingt-neuf contre les slaves. Dans les années suivantes, la proportion s’inversa : entre 1389 et 1416, on dénombrait vingt-trois razzias contre les Gaels et seulement deux contre les slaves. La raison fut évidente : les Naturiens devenaient de plus en plus forts, et les petits royaumes gaéliques, déchirées par des conflits internes, de plus en plus faibles. Ce fut d’ailleurs à cette époque qu’apparût un grand chef de guerre asbjorn du nom de Witikind, l’un des innombrables princes de l’archipel. En 1425, il s’empara de la riche cité de Volgorod, contribuant ainsi à décrédibiliser le Tsar Pereiaslavl, accusé d’avoir, par sa faiblesse autant que par sa couardise, déserté la ville injustement abandonnée à son sort. Obstiné et habile, il accrut ses possessions sur les côtes appartenant au Tsarat en décapitant l’ordre de Natura de ses chefs à la bataille de Zaivode en 1429. La chronique rapporta les événements sans fioritures particulières, mais de façon éloquente :
« Witikind était l’autocrate du Reyksavia… Régnant sur la terre reyksavienne, il tua ses frères et neveux, chassa les autres et se mit à gouverner seul… »
Les trente années suivantes de son règne furent consacrées à la consolidation de l’Etat reyksavien, à l’élargissement de son influence en Germania et de ses possessions en Britannia au détriment des royaumes indigènes, et au pillage ainsi qu’au rançonnage intensif des cités côtières valysiennes. Hélas, il mourût assassiné en 1460 par son neveu. S’ensuivit une longue période de troubles dans l’archipel, mais l’Etat instauré ne s’effondra jamais. L’un des éléments essentiels de cette consolidation fut l’adoption du principe de transmission de la couronne du père au fils, ou du frère aîné au cadet. A l’issue des terribles luttes de pouvoir qui fractionnèrent les îles, et à compter de la fin des années 1480 avec le sacre du Kriegsheer Traoren Tarnsgard, un obscur seigneur de guerre parvenu à s’élever par le fer et l’intrigue jusqu’au sommet du pouvoir, le Reyksavia devint un empire. Les contemporains de l’Empereur nordique s’accordèrent tous pour témoigner que, chargé d’une nombreuse famille, il voulut doter ses fils, ses filles, ainsi que ses petits-enfants, et qu’en conséquence, fit tout ce qui était en pouvoir pour constituer un empire colonial en Britannia. Sa mort en 1514 plongea l’archipel dans cinq années de trouble : le frère de l’empereur et ses sept fils morcelèrent les possessions reyksaviennes. Progressivement, les deux fils les plus capables, Franz et Harold, prirent le pouvoir en main. Chacun règne en bonne intelligence dans une dyarchie, se répartissant les tâches, la réalisation des ambitieux projets de conquête de l’île-continent de Britannia, et les capitales : Stradtford pour Franz, qui dirige la métropole, pendant que son jeune frère, Harold, administre l’empire colonial depuis Kallstrom.
II - La colonisation des îles de l’Archipel de Britannia
A la première moitié du XVe siècle, les premiers colons occidentaux et septentrionaux prirent pied en Britannia et furent accueillis sans hostilité par la plupart des autochtones. Ces relations, harmonieuses au demeurant, étaient vitales pour les colons qui, sans l’aide des indigènes, n’auraient pu survivre dans cette terre étrangère. Grâce aux indications de leurs hôtes, ils purent découvrir les céréales locales et la meilleure façon de les cultiver, ainsi que les emplacements les plus propices à la chasse et à la pêche. En retour, les colons enseignèrent aux indigènes les techniques de la métallurgie, de la sidérurgie, et leur donnèrent nombre d’animaux de trait et de guerre, qui furent ainsi réintroduits dans les îles. L’usage de ces bêtes de trait permit aux Gaels de voyager et de pratiquer le commerce sur de plus grandes distances. En dépit de leurs particularismes, ces tribus indigènes insulaires avaient en commun certaines coutumes et pratiques qui jetèrent les fondements d’une première société Britannienne. Au sein de chaque tribus, la famille constituait la valeur, mais guerre et croyances revêtaient également une grande importance. Les conflits territoriaux rendaient nécessaire la valorisation des chasseurs et des guerriers, de sorte que, dans nombre de communautés indigènes, les jeunes hommes recevaient une initiation visant à leur insuffler du courage et à les préparer au combat. La plupart de ces tribus avaient recours à des danses pour invoquer les esprits et obtenir leur protection avant d’attaquer l’ennemi, et toutes ou presques étaient menées par un chef unique auréolé d’un pouvoir spirituel fort. Dans certaines tribus, notamment chez les Kelion, ce monarque recevait l’assistance des guerriers et des sages les plus influents régulièrement réunis en conseil. Partout, la femme avait pour rôle essentiel d’assurer la descendance et de s’occuper des enfants, mais elle effectuait également diverses tâches nécessaires à la vie du campement. A l’exception de certaines tribus, les tribus Gaels étaient régies par un pouvoir patriarcal.
Hélas, les colons apportèrent également avec eux des maladies contre lesquelles les indigènes n’étaient pas immunisés et qui décimèrent leurs populations. Rapidement, les relations entre colons et autochtones s’envenimèrent, souvent du fait des usurpations territoriales et des abus de confiance pratiqués par ces derniers. Lorsque les colonies selvyennes affrontèrent les colonies germaniques afin d’accroître leurs emprises respectives sur les îles, de nombreuses tribus se trouvèrent divisées, à l’exemple des Alturii, qui s’allièrent pour certains aux Selvyens, et pour d’autres, d’ors et déjà germanisés, aux colons Teutons.
La résistance généralisée à l’avancée des colons nordiques et occidentaux donna naissance aux « guerres indigènes », qui durèrent pendant des décennies et trouvèrent leur conclusion en 1520 par l’annihilation de la plupart des forces impériales et la mise à mort des derniers grands chefs des tribus. Dès lors, la plupart des tribus indigènes furent cantonnées au sein de réserves souvent éloignées de leurs îles d’origines.
III - La conquête des Royaumes intérieurs
Durant les premières années qui succédèrent à l’installation des comptoirs commerciaux sur les côtes-est de Britannia en 1476, Haakon Skjorinson, explorateur émérite, explora les terres de cette mystérieuse île-continent. Ses successeurs, de même que les nombreux colons Teutons qui s’y installèrent, poussèrent les deux empires selvyens à se ruer sur ces vastes étendues qui appartenaient aux peuples gaels, lesquels se montrèrent farouchement hostiles à la présence de ces étrangers. Jusqu’en 1500, l’exploration asbjorn se limita ainsi aux îles situées à proximité de Germania, et les tentatives de colonisation se soldèrent par des échecs ; l’économie locale était d’une part insuffisante pour permettre une installation permanente des colons, et d’autre part, les conflits incessants avec les autochtones, qu’aggravait la brutalité des colonisateurs germaniques pour affirmer leur autorité sur leurs nouveaux sujets, rendirent peu rentable l’exploitation de ces territoires récemment conquis. En effet, les colons germaniques enrôlaient, souvent de force, les indigènes pour l’exploitation des mines et des domaines agricoles. Les dures conditions de travail ainsi que les maladies apportées par les étrangers entamèrent une saignée démographique, de sorte que les administrations coloniales Selvyennes et germaniques furent confrontées à une pénurie de main d’œuvre et contraintes à se tourner vers l’intérieur des terres, lesquelles appartenaient aux trois Royaumes de Faselione, Vilkurix et Lipnadd, berceaux de trois civilisations originales. A l'exception du royaume de Lipnadd, qui demeure indépendant, ces royautés, respectivement annexés en 1506 et en 1512, ont été conquis par les armes et les alliances subsidiaires et matrimoniales.
Les Faseliones régnèrent sur la partie méridionale de Britannia, jusqu’à leur rencontre infortunée avec les Reyksaviens. Née le long de la vallée de Brigatoa, la civilisation Faselione établit sa domination en l’espace d’un siècle seulement, sur un territoire comprenant, outre les côtes-est, de larges domaines d’Astasa, de Cylis et de Kjavik. La société reposait sur une institution impériale investie d’une autorité totale, le mot « Faselione » signifiant Empereur. Avant cette apogée, les Faseliones avaient formé une des nombreuses tribus occupant le sud de l’Ile-Continent, et c’était sous la conduite des trois empereurs, Acatée, Alkein et Velnyr, qu’ils entreprirent une politique d’expansion et de conquête qui les mena loin de leurs contrées. Afin d’administrer efficacement leur immense territoire, les Faseliones développèrent un système de gouvernement très hiérarchisé. L’empereur, ou Faselione, transmettait ses ordres à quatre gouvernements provinciaux, chacun dirigé par un membre de la famille impériale. A leur tour, ces nobles déléguaient leur autorité à des administrateurs dont la fonction essentielle consistait à maintenir l’ordre et de s’assurer de la productivité des terres. Le rang le plus bas de cette société était occupé par les paysans et les travailleurs des mines, et chaque communauté d’environ dix familles était tenue de s’acquitter d’un impôt impérial, perçu par lesdits administrateurs. Les pauvres étaient également tenus d’assurer les travaux d’intérêt général, dont la construction de ponts, et de rejoindre, en cas de besoin, les armées impériales. En retour, ils recevaient le soutien de l’Etat lorsqu’ils étaient empêchés de travailler par l’âge ou la maladie, et avaient accès à des denrées lorsque les récoltes s’avéraient insuffisantes. La civilisation Faselione était donc essentiellement agricole. Elle transforma son environnement montagneux par l’aménagement de terrasses qui permettaient d’accroître la superficie des surfaces cultivables. Habiles artisans, quoiqu’ils ne pouvaient égaler les Asbjorn dans l’art de la métallurgie et de la sidérurgie, ils excellaient dans le travail des métaux, se targuaient même d’avoir pu accomplir des prouesses architecturales. On leur attribuait également de solides connaissances médicales, lesquelles leur permettaient de pratiquer des trépanations.
Les Vilkurix étaient, quant à eux, le peuple le plus puissant de toutes les Iles de Britannia. Durant trois cent ans, leur hégémonie était incontestable. Formé par l’union de plusieurs tribus venues du septentrion, le royaume Vilkurix établit une première cité sur un ensemble d’îlots marécageux du lac de Eyate, fondant une colonie qui donna plus tard son nom au Royaume éponyme. Par l’assèchement des marécages et la construction d’avenues, de canaux et d’îles artificielles, les Vilkuriens firent de leur cité-mère la ville la plus peuplée de l’Archipel de Britannia. Forts de leur unité, ils donnèrent bientôt libre-cours à leur soif de conquête et soumirent les peuples voisins tantôt par des manœuvres politiques, tantôt par les armes. Ils appliquèrent ces deux méthodes avec zèle et devinrent très rapidement les maîtres du Nord Britannien, collectant tributs, denrées, otages et esclaves auprès d’une multitude d’Etats vassaux. Les Vilkuriens affirmèrent de fait leur autorité de manière despotique et brutale : le non-paiement de l’impôt par tel ou tel Etat provoquait une réaction immédiate de leurs armées. Ces ripostes guerrières, souvent excessivement brutales, étant considérées comme nécessaires afin d’assurer le bon entraînement des soldats, de sorte qu’ils n’hésitaient pas à attaquer tel ou tel Etat jugé récalcitrant ou de loyauté incertaine. Leur pratique de la guerre était également unique. Plutôt que de s’organiser en unités destinées à exterminer leurs adversaires, les combattants Vilkuriens livraient des combats individuels et s’efforçaient de capturer leurs ennemis, espérant livrer ces derniers à leurs dieux lors des rites sacrificiels. Un guerrier Vilkurien ne pouvait ainsi cueillir les honneurs qu’après la capture de trois combattants. Il lui était également interdit de se couper les cheveux avant d’avoir atteint cet objectif, de sorte que le port d’une longue chevelure était un motif de honte. En dépit de leur cruauté apparente, illustrée par la pratique des rites sacrificiels, les Vilkurix ont édifié une civilisation riche et complexe. Leur société était divisée en trois classes principales formées par les nobles, les marchands et les paysans. Prêtres, généraux et administrateurs étant issu de la noblesse, tandis que la classe paysanne fournissait les travailleurs de la terre, les ouvriers et les soldats. Il existait en effet des esclaves, mais leurs conditions étaient comparativement moins rudes à celles de leurs homologues en Orient : ils étaient certes vendus et achetés comme du bétail mais ils ne naissaient pas esclaves et pouvaient revendiquer leur liberté après un certain temps passé au service de leur maître. Quant aux hommes libres, à l’âge de quinze ans, les Vilkurix de sexe masculin étaient formés selon un apprentissage formel incluant l’apprentissage des rituels religieux, de l’histoire de leur peuple et du maniement des armes de la magie. Outre de nombreux temples dédiés aux cultes religieux, les cités Vilkurix englobaient divers lieux d’enseignement et plusieurs places vouées au commerce où s’échangeaient objets usuels et denrées. La plupart des cités étaient divisées en trois zones distinctes et organisées autour d’un vaste temple central qui accueillait également les jeunes mages. Habiles constructeurs, les Vilkurix usèrent de leurs connaissances pour établir des systèmes d’évacuation des eaux usées et doter chaque habitation de latrines, érigeant également de vastes aqueducs qui alimentaient les cités en eau fraîche. La pratique des sacrifices humains était ancrée dans la société Vilkurix. D’origines religieuses, ceux-ci revêtirent rapidement une utilité politique, car ils concouraient au maintien de l’ordre civil. L’âge et le sexe des victimes variaient en fonction de la divinité à laquelle le sacrifice était destiné – il pouvait s’agir de jeunes filles, de prisonniers, d’hommes vigoureux ou d’infirmes – et la mort était infligée selon diverses méthodes par les mains des grands prêtres. A Vilkurix fut même construit des édifices composées des crânes et ossements des victimes, lesquels étaient ainsi exposés à seule fin d’honorer les dieux et consolider l’autorité des nobles. Lors des grands festins annuels où la chair desdits victimes était aussitôt consommée, ces sacrifices prenaient des proportions gigantesques. Certains seigneurs de guerre germaniques, « les Kriegsheer », décrivirent l’exécution de plusieurs milliers d’hommes et de femmes en quelques jours, mais ces chiffres étaient probablement exagérés à des fins politiques. On peut cela dit estimer à plusieurs centaines le nombre de sacrifiés lors de ces cérémonies sanguinaires, et à près de trente mille celui des victimes au cours d’une seule année durant l’histoire du royaume Vilkurix.
Isolé, le royaume de Lipnadd a toujours su se tenir à l’écart des dominations étrangères qu’avaient connues les royaumes de Vilkurix et de Faselione. Tout Au plus devait-il tolérer, dans les ports de la côte orientale, quelques colonies de marchands d’origines Asbjorn que l’on appelait « les Ostmen », autrement dit « les Orientaux », dont la présence stimulait l’économie locale. La capitale de ce Royaume se nommait Oswall, en relations commerciales avec tous les pays Reyksaviens et les seigneuries féodales Valysiennes. Lippnad n’en avait pas fait pour autant son unité. Un très théorique « roi supérieur » étendait sur les deux tiers de l’île une suzeraineté que quatre autres rois ne reconnaissaient qu’à la condition de n’en faire aucun cas. Le tiers septentrional, dépeuplé, n’avait même pas de chef. Partout, la réalité du pouvoir résidait dans les mains de quelque cent quatre-vingt-cinq roitelets. La confusion politique se doublait d’une absence de hiérarchie religieuse qui traduisait la faiblesse de l’imprégnation nordique dans la population. Quelques prêtres aux sièges longtemps changeants ne formaient pas une structure territoriale et la prééminence de l’archiprêtre demeurait purement nominale. Les temples étaient les principaux foyers de vie religieuse, mais ils n’étaient que les pâles héritiers des grands centres de rayonnement intellectuel des siècles passés.
IV - L’essor du Tsarat Valysien (1400 - 1510)
Depuis longtemps déjà, les historiens océaniens ont pris l’habitude, certes très controversée, de distinguer les bons et les mauvais siècles, selon qu’ils connurent des conjonctures plus ou moins favorables. Ainsi, depuis une cinquantaine d’années, l’expression de « Beau siècle », forgée par les intellectuels valysiens, s’est-elle imposée dans les cours. En effet, à la vue de nombreux indicateurs chiffrés, le siècle valysien fut incontestablement une période de prospérité dans le Tsarat : population, productions et échanges ont connu des accroissements qui témoignèrent d’un dynamisme certain.
Dans le domaine de la démographie, les chiffres sont éloquents. Décimée par les persécutions germaniques, par les guerres du Nord (1123 – 1380) et les épidémies, la population du Tsarat n’alignait que vingt millions d’âmes dans les années 1430. Près d'un siècle plus tard, la population ne comptait pas moins de soixante millions d’habitants. Cette croissance s’expliquerait par de multiples facteurs tels que le recul de la mortalité dû à l’espacement des grandes épidémies et l’abaissement de l’âge au mariage qui entraînait un accroissement de la natalité. Le dynamisme démographique était donc incontestable et frappera d’ailleurs les Seigneurs Valysiens. La production agricole, si importante dans une économie essentiellement terrienne, connût elle-aussi un indéniable développement. Bénéficiant d’un climat clément, l’agriculture fit des progrès comme le témoignait l’extension des labours et les entreprises de déforestation. Pour l’essentiel, les progrès concernèrent les cultures vivrières qui permirent un recul des disettes. La production manufacturière prospéra également. Elle concerna tout d’abord des secteurs anciens mais revitalisés. Le textile tout d’abord où, au développement de la production courante, s’ajouta l’extension d’une industrie naissante. La soierie progressa et vit sa production se concentrer dans les grands centres économiques. Soutenue par la découverte de nouvelles méthodes, la métallurgie connût une croissance encore plus nette. Sur les dix mille forges que comptait l’Empire du Tsar, trois mille furent crées durant le règne de Vassilli III. Enfin, l’imprimerie, introduite depuis les années 1450, se développa avec une rapidité confondant. De tous ces accroissements résultèrent une intensification des échanges et un essor du commerce. A l’intérieur des territoires féodaux, celui-ci progressa, stimulée par la croissance des villes, qui réclamaient un ravitaillement à la mesure de ses exigences croissantes, et les industries demandeuses de matières premières. Croissance démographique et croissance économique contribuèrent ainsi à l’avènement d’une période de prospérité couvrant une partie au moins des années 1500. Etabli, le dynamisme du XV° siècle Valysien relevait de l’action de l’action conjointe d’un ensemble de facteurs où il faut distinguer causes internes et externes. Tout d’abord, la prospérité du Tsarat s’inscrivit dans une conjoncture internationale plus que favorable. Avec la fin des Guerres du Nord et la relative pacification du Sultanat de Yûrai et la destruction de la confédération Temûrienne, l’Orient inaugura une période de stabilité. Certes, par leur razzias, les Teutons ne manqueront pas d’ardeur guerrière mais, pour l’essentiel, les conflits épargneront le territoire impérial intérieur.
A cette accalmie, il fallut s’ajouter les retombées économiques des découvertes reyksaviennes. Si les Valysiens n’occupèrent qu’un rôle mineur, le Tsarat en tira les bénéfices, précisément à partir des années 1490, l’Etat ayant bénéficié d'un afflux d’esclaves corvéables à souhait et de métaux précieux qui provoquèrent d’une part un abaissement du coût de la main d’œuvre ainsi qu’une inflation généralisée qui stimula l’activité économique en incitant les grands propriétaires à vendre, produire et investir, d’autre part. Ces causes externes, qui occupèrent bien évidemment un rôle non-négligeable, ne firent que renforcer un dynamisme interne et plus anciens qui puisait à plusieurs sources anciennes. Le renforcement de l’Etat, accélérée par la Tsarine Antonina, ne fut pas dépourvu de conséquences sur l’économie. Parallèlement à l’augmentation de ses besoins, la monarchie s’intéressait désormais à l’activité économique où l’on vit apparaître un embryon de politique planifiée. L’impact de la croissance démographique citée ci-dessus fut plus déterminant encore. En effet, l’augmentation de la population s’était traduite par une augmentation des producteurs aussi bien dans les espaces ruraux que dans les espaces urbains. Il aboutit également à une augmentation de la consommation qui stimula les secteurs liés à l’agriculture, lesquels purent bénéficier et de la remise en culture des terres et des campagnes de défrichage. Cet accroissement de la demande, générateur de marchés, favorisa l’extension de la lettre de change qui offrit aux négociants un nouveau moyen de paiement. Ceux-ci profitèrent aussi de l’élargissement du crédit. Dans les grandes villes industrielles et commerçantes de nouveaux entrepreneurs apparurent : les Iazaroi, métisses nés de l'union entre valysiens et slaves. Cette prospérité puisa donc dans une vitalité interne stimulée par la monarchie et résultant d’une croissance démographique due à la fin des calamités.
Cela dit, si ce tableau ainsi peint paraît flatteur, il conviendrait cependant d’y apporter de sérieuses nuances.
En premier lieu, force était de constater que les mouvements de l’économie ne suivaient pas un rythme séculaire. De fait, la croissance économique débuta bien avant 1500. Démographie et productions s’envolèrent, en effet, mais à partir de 1520, la croissance agricole marquait un net essoufflement. Cette prospérité était en fait un rattrapage plus qu’un décollage. Le dynamisme se heurtant à l’inertie d’une structure féodale excessivement rigide et aux freins qu’imposèrent le servage et les lois racistes à l’endroit du peuple Slave, les conditions d’une « Révolution sociale et économique » furent incomplètes. Dans l’agriculture, qui plus est, les progrès étaient moins qualitatifs que quantitatifs. Les techniques de cultures ne connurent guère d’innovation et les rendements plafonnèrent à un niveau atteint depuis le premier millénaire. Ainsi la croissance agricole s’était effectuée surtout par la reconquête d’un domaine cultivable abandonnée lors des hécatombes des siècles précédents. Cette reconquête achevée, la production de denrées alimentaires stagna et réfréna la croissance démographique. A partir des années 1510, le Tsarat était de nouveau un « monde plein » dans lequel se maintint difficilement un fragile équilibre entre ressources alimentaires et niveau de population. Dans l’industrie, le développement de quelques secteurs modernes ne remit pas en cause l’écrasante prépondérance du petit artisanat traditionnel. Seul le commerce vit poindre de nouvelles structures porteuses d’avenir.
Enfin, la prospérité du Tsarat connût de sérieuses limites sociales car cette croissance ne profita bien évidemment point à tous les groupes sociaux. Les Iazaroi étant traités comme des sujets intermédiaires à qui échurent les basses tâches telles que le commerce et l’industrie, les Slaves comme des serfs tous juste capable d’offrir une main d’œuvre docile, et les Valysiens comme une race de seigneurs investie d’une autorité absolue et incontestable, cette société régie par une profonde inégalité et génératrice de tensions parût de prime abord inapte à constituer les structures susceptibles de maintenir cette croissance et d’exploiter les richesses contenues sur le sol du Tsarat. L’inflation enrichit les seigneurs car elle était bénéfique à tous ceux qui possèdent des terres. Dans les bas-fonds de l’échelle sociale, la multitude de petits paysans, vivant dans une précaire autosubsistance, et surtout salariés des campagnes et des villes, dont les salaires ne suivent pas cette inflation, subissent une forte dégradation de leur situation. Ainsi l’essor du Tsarat s’accompagnait également d’une hausse de la pauvreté.
L’image d’un « Beau siècle Valysien » demeure ainsi une image qui ne traduit pas une réalité plus complexe : la prospérité tend à s’éteindre, et la conquête semble être le seul choix possible afin de contenir les débordements d’une société en proie à une tension allant croissante !
V - La guerre d’Arashi (1520 – 1528)
Pour saisir les tenants et aboutissants de la guerre d’Arashi, il convient tout d’abord de démêler les fils qui constituent sa trame.
Depuis toujours, le Dai Yamato était l’un de ces Etats de moyenne importance situés à la périphérie de l’Empire Zengghuo et entretenait avec celui-ci des relations marquées par sa soumission humiliante à son égard. En effet, Wun Zei, l’Empereur-dragon, qui se prétendait descendant des Anciens Dieux, se considérait comme l’essence matérialisée sur terre de Tza’haang, le Dieu de la nature, et méprisait par conséquent tous les peuples d’orient qui n’intégraient pas la masse ô combien vaste de ses serviles sujets. En 1488, cependant, le Dai Yamato avait étendu son influence sur de nombreuses îles et archipels méridionales, et de ce fait, s’était trouvé en porte-à-faux avec son éminence impériale.
La guerre de Takuni (1502 – 1506)
A cette période, la menace d’une invasion Zeng Hi se précisait. Aux débuts du XVI° siècle, l’extrême-orient avait été conquis par l’Empereur depuis les steppes d’Altai jusqu’aux denses forêts méridionales de Yi’Kur. Celui-ci porta rapidement un intérêt particulier au Dai Yamato, envoyant par l’intermédiaire des Temûriens des lettres officielles sollicitant l’ouverture de relations diplomatiques amicales, lesquelles étaient cela dit assorties d’une formule menaçante : « Il nous déplairait d’avoir à user de la force ». Le vieil Empereur Nippon, Torune, se montra intraitable, au dam du monarque Zeng Hi qui proclama aussitôt son intention de s’emparer et des Iles sous domination Nippones et du Dai Yamato lui-même. Aidés d’auxiliaires Temûriens et Sum’n’Kur, les Zeng Hi débarquèrent sur les côtes de Haizen en 1502. Les combats ne durèrent qu’une journée mais furent d’une violence inouie : les assaillants utilisaient des flèches empoisonnées et des sortes de bombes explosives qui produisaient un bruit assourdissant. Surpris par les techniques de guerre peu conventionnelles employées par les Zeng Hi, les guerriers Nippons étaient désorientés lors des premiers affrontements. Les Zeng Hi prirent rapidement l’avantage mais, au soir, une tempête se leva et les contraignit à rembarquer. En 1506, les envahisseurs Zeng Hi lancèrent une seconde campagne en réunissant plusieurs dizaines de milliers d’hommes, certains chroniqueurs alignant même le nombre de deux cent mille hommes. De leur côté, les Nippons avaient fortifié les côtes nord-ouest de l’île d’Haizen. Comme en 1502, les Zeng Hi dévastèrent les îles nippones au large, Taikazan payant un lourd tribut en vies humaines. Les Zeng Hi débarquèrent donc, mais cette fois-ci, les samourais avaient pris la mesure de leurs adversaires en bâtissant des murets et en levant des pieux, empêchant la cavalerie Zeng Hi de sinistre réputation de se déployer et de fondre sur eux. A l'issue d’une semaine de combats acharnés, les envahisseurs continentaux ne parvinrent qu’à établir une petite tête de pont qu’ils finissent d’ailleurs par abandonner pour se replier sur les îlots conquis afin de reprendre leur souffle. C’est alors que pour la seconde fois, la tempête déferla. L’armada Zeng Hi fut dispersée, coulée, brisée. Les trente mille rescapés Zeng Hi, Temûriens et Sum’n’Kur, acculés sur les îles et sans espoir de reprendre la mer, furent passés au fil de l’épée. L’expédition fut un fiasco. Miraculés, les Nippons considérèrent cet ouragan comme une manifestation de la providence, convainquant ces derniers du caractère sacré et inviolable de leur patrie.
Durant cette épreuve, les dirigeants du Dai Yamato ont révélé sang-froid et fermeté. Si la victoire sur les continentaux leur appartint en premier lieu, elle était aussi celle des guerriers dont la majorité provenait des provinces occidentales, vassaux hommes-liges ou non. Puis secondairement, c’était aussi la victoire de la cour de Taishima qui avait commandé des prières pour la prospérité du pays, et enfin des sanctuaires qui ont su convaincre les divinités du pays d’intervenir sous la forme de vents divins par deux fois contre l’envahisseur. Non seulement, les dirigeants, Torune en tête, ont su mobiliser l’énergie combattante des guerriers du Dai Yamato, mais ils ont aussi su tirer avantages d’une situation urgente. Les guerres Zeng Hi permirent à l’Empereur d’étendre considérablement son autorité dans l’ouest du pays, en ordonnant aux gouverneurs de mobiliser tous les guerriers de leurs provinces, y compris ceux qui ne seraient pas les vassaux directs de son éminence. Le pouvoir impérial prit dès lors une dimension nationale.
Hélas, les anciennes castes militaires des « Bushi » sortirent de cette épreuve insatisfaites et d’humeur turbulente. Pendant les mois et les années passées hors de leur domaine pour organiser la défense du pays, nombreux ont été les seigneurs qui se sont appauvris ; ceux-ci déplorèrent l’absence de butin à partager. Leur ancien idéal d’indépendance et de puissance, déjà fort ébranlé, fut contrarié. A présent, il convenait d’employer ce mécontentement général à des fins opportunistes.
Durant les années suivantes, avec la mort de l’Empereur Torune et l’arrivée au pouvoir du Régent Yûsuke, d’abord précepteur du jeune prince Higashi, l’Etat du Dai Yamato avait connu des transformations internes avec le développement du commerce et la mise en valeur des mines d’argent et de fer qui donnèrent un caractère nouveau au pouvoir du monarque Nippon, un pouvoir reposant désormais sur une armée remarquablement équipée et entraînée grâce aux subsides qui lui étaient consacrés. Certes, il devait toujours prendre en considération l’accord de cette dernière pour la reconnaissance de sa légitimité, mais il avait tendance à mener sa propre politique qui allait très vite l’opposer aux Etats-cités fortifiés du Nord ; les mêmes cités qui, depuis les guerres pour assurer la défense du pays, ont combattu afin de garantir l’indépendance du Dai Yamato. Une courte guerre éclata, laquelle vit Yûsuke triompher de cette fronde menée par les Princes rebelles. Celui-ci, au lieu de pousser son avantage, opta pour une convocation des représentants des communautés Nippones – cités et Etats fédéraux – à Jizen pour établir avec eux une alliance que l’on nomme aujourd’hui Jīzenrīgu, « la Ligue de Jizen ». De cette alliance, Yûsuke en fut l’Hégémon, c’est-à-dire, le maître incontesté, tout en étant épaulé et surveillé par un conseil des alliés. En cela, le Régent s’inspirait du modèle des alliances qu’édifièrent les Etats-cités Nippones des temps antiques. Yûsuke s’assigna donc pour tâche de donner à cette alliance l’objectif de porter la guerre contre l’Empire Zengghuo pour, dit-on, laver l’honneur impérial d’une part, et de libérer les cités Nippones assujetties à l’autorité de l’Empereur Zeng Hi, d’autre part. L’intention proclamée d’émanciper les Nippons continentaux permit ainsi au Régent d’intégrer le Yatai, l’organisation composée des représentants des plus puissantes principautés administrant le sanctuaire du Dieu Yesudai, et d’agir de fait en tant que dirigeant de l’ensemble du Dai Yamato. Les opérations débutèrent donc en 1518 sur les côtes nord de Zengghuo par un débarquement conséquent, mais la mort soudaine du Régent entraîna un retard dans le développement de cette campagne. Pour faire reconnaître son autorité, le Prince Higashi dut rétablir l’ordre dans son royaume puis régler le problème que posait la cité d’Hyaga, laquelle avait participé aux luttes face au Régent Yûsuke, en la châtiant avec une rare sévérité. Ce fut après avoir affirmé son autorité que le jeune empereur songea à reprendre les opérations militaires en Extrême-orient.
Ce qui devait être une opération limitée allait très vite prendre une toute autre dimension. Empereur d’un Dai Yamato qui ne rêvait qu’à s’étendre, Higashi, dont l’éducation avait joué un rôle décisif dans ses succès ultérieurs, était un homme d’une grande intuition pratique. Sans émettre le désir de faire de lui un héros moderne ou visionnaire, il fallut reconnaître que ce jeune prince voyait haut et loin. Ainsi, il considérait, et la véracité de cette intention fut corroborée par des faits concrets, que l’Empire Zengghuo était l’étape charnière à la conquête… du Tsarat Valysien, prédisant qu’un jour celui-ci dominerait le monde. Incontestablement, son projet était visionnaire. Il n’avait cela dit rien à voir avec les soudards qui conquirent les îles méridionales, et à l'instar des lointains empereurs germaniques, était mû par une vision d’unité par la réconciliation.
Tout commença par la bataille de Kwei Yû, qui vit l’écrasante victoire des Bushidokan face aux armées menées par les stratèges Zeng Hi. Prenant possession du petit pays de Lao’zeitang, il reçut en cadeau vingt jeunes femmes, dont l'une d'elle, Mei Zhao, pour qui la grâce, disaient non sans emphase les chroniqueurs, « n’avait d’égale que sa lucidité », avait séduit le jeune empereur. Higashi en fit sa maîtresse, son interprète et un conseiller politique d’une valeur inouie ; elle fut renommée Yuki. Puis, à l’intérieur des territoires qu’il avait conquis, Higashi fut visité par les ambassadeurs de l’Empereur-Dragon, ceux-ci ayant pour mission de le convaincre de rentrer chez lui et pour ce faire le comblèrent de fabuleux présents, qui, ironiquement, excitèrent la cupidité des samourai au lieu de la satisfaire, qui étaient à présent persuadés que l’ambitieuse entreprise du jeune empereur ferait d’eux des hommes riches et puissants. Higashi traita les Zeng Hi avec la plus grande courtoisie, et les fit assister à une démonstration de force des samourais, avant de leur dire qu’il souhaitait affronter en duel leur empereur. C’est alors que le visitèrent les envoyés du seigneur de Yaanxi, une province tributaire de l’empire. Ils lui proposèrent une alliance contre le gouvernement central, Yuki, sa maîtresse, lui ayant déjà expliqué que bien des sujets de l’Empereur-Dragon le craignaient, le haissaient et souffraient impatiemment le joug. Cette confirmation l’incita à se rendre à Yaanxi et à renforcer son armée composée de quarante mille hommes de vastes contingents locaux. Les chroniqueurs Nippons narrèrent avec précision la manière avec laquelle le seigneur des lieux, « avec force larmes et soupirs, lui dit comment les Zeng Hi les tenaient soumis, et chaque année exigeaient de leur livrer de nombreux fils de filles pour les destiner à une vie servile dans les maisons, les champs, les mines, et il présenta tant de plaintes que nous n’en souvînmes plus ».
Higashi se mit donc en marche vers Yûshuan, car le seigneur de Yaanxi lui avait conté la guerre entre les guerriers de ce pays et les armées impériales : une alliance devait être possible, confirma Yuki. Une série de durs combats opposa Higashi à ses futurs alliés, mais la haine de ces derniers étant plus vive que la crainte provoquée par la venue du Nippon, le seigneur opta pour une alliance. Higashi les convainc que l’heure de la libération arrivait avec lui, se gardant d’apparaître comme un conquérant uniquement obsédé par l’appât des richesses de ce pays. Il entendit prouver, au contraire de l’occupation Zeng Hi du Dai Yamato qui avait laissé de très mauvais souvenirs, qu’il était respectueux des coutumes des locaux. Epaulé par deux solides alliés, le jeune Empereur Higashi, âgé de vingt-deux ans, débuta l’Invasion de l’empire Zengghuo.
Les batailles se déroulèrent ensuite dans les reliefs escarpés du Wuunxi. L’empereur-Dragon, confiant en ses forces, sa puissance et son expérience, défia son adversaire Nippon, gageant sur une victoire rapide qui aurait tôt fait d’affirmer, sinon renforcer, son prestige. Hélas, son arrogance, ou, ainsi que le décrivirent ses contemporains à postériori, son manque de « lucidité », le conduisit à affronter l’ensemble des armées adverses afin de les anéantir toutes, son écrasante supériorité numérique ainsi que les compétences martiales des seigneurs-dragons Temûriens récemment gagnés à sa cause devant lui assurer une mainmise dans le combat à venir. Hélas, la combativité des Nippons et l’originalité des tactiques qu’employèrent ces derniers fit basculer le rapport de force en leur faveur. Ce fut « La débâcle de Wuunxi » durant laquelle, trois cent mille soldats Zeng Hi furent encerclés puis annihilés. Aussi vrai que périt la majorité des soldats mobilisés durant la bataille, le prestige et l’honneur de l’Empereur Zeng Hi, qui avait fui pendant la bataille, en ressortirent exsangue et l’éclat dont il avait autrefois brillé en fut irrémédiablement ternit.
Les Nippons et leurs alliés exultèrent d’avoir laver l’opprobre qui souillait leur honneur et celui de leurs ancêtres. Comme enhardis par cette victoire, une frénésie démente s’empara de leurs rangs, laquelle fut la principale raison qui aurait expliqué les tenants et aboutissants du triste épisode du sac de la richissime cité de Quangdo, principauté ayant l’audace de résister au conquérant en affirmant sa loyauté à Wun Zei, l’Empereur-Dragon. Considéré tel un libérateur parmi les populations oppressées, l’éclat dont il brillait fut terni par le sang versé ce jour-là, et par là-même, le respect qu’il inspirait se teinta d’une crainte froide.
Face à son pire ennemi, l’Empereur-dragon, craignant de perdre le soutien des « Jûfan », prit une décision téméraire : jeter son va-tout dans une bataille incertaine afin de forcer l’étau constitué par les troupes Nippones, en misant sur la répulsion que provoqua le sac de Quangdo et avant tout sur son titre d’Empereur pour fédérer ses alliés face à l’ennemi. La bataille qui s’ensuivit fut digne des légendes antiques. Coutumier des combats, Wun Zei voulait déterminer lui-même son sort, sabre en mains. Ainsi, Wun Zei quitta-t-il une dernière fois sa capitale pour affronter l’envahisseur.
L’approche de l’Empereur-Dragon ne surprit nullement Higashi et ses samourais. Une pluie diluvienne, sinistre prélude, chagrina les cieux, ce matin-là ; à midi, elle vira à la tempête, à « l’Arashi ». Les seigneurs féodés de l’Empereur Wun Zei le pressèrent de remettre d’un jour son assaut, dans l’espoir que la pluie s’apaiserait. Celui-ci refusa, purement et simplement. Au surplus, ses armées surpassaient celle des conquérants Nippons à presque… huit contre un, avec presque quatre fois plus de mages et de cavalerie lourde, nonobstant d’ailleurs la présence des trois cent Dragons Temûriens. Solidement retranchées, la vue des bannières Nippones détrempées claquant sur ses propres collines ainsi que les cris que poussèrent leurs porteurs l’ulcéra, et le vieux guerrier ne manqua guère de remarquer que la pluie soufflait du sud, au visage des forces ennemies. Aussi Wun Zei, l’Empereur-Dragon, donna-t-il le signal d’attaquer, et la bataille que l’Histoire nomma « le funeste Ouragan » commença. Le combat se prolongea jusqu’aux profondeurs de la nuit, et le combat fut sanglant. A quatre reprises, Wun Zei lança ses cavaliers lourds sur les positions ennemies, et quatre fois il échoua à enfoncer les lignes adverses : les pentes étaient raides, les pluies avaient rendu la boue molle, et en définitive, les palefrois s’enlisaient, brisant la cohésion et l’élan des charges. Cela étant dit, les Zeng Hi eurent davantage de succès face aux fantassins Nippons. Aveuglés par la pluie, les envahisseurs ne les virent gravir les collines que trop tard, et les cordes humides des arcs rendirent leurs arcs inutiles. En outre, en dépit de leur courage et de leurs talents au combat, les combattants du Bushidokan, face à la supériorité numérique des Zeng Hi, furent rapidement submergés. Une colline tomba, puis une autre. La quatrième et dernière charge de l’Empereur-Dragon enfonça le cœur des forces Nippones… pour laisser place à la fureur des dragons Temûriens. Nombreux furent les preux ce jour-là qui périrent dans les flammes, et nombreux furent les dragons massacrés au Katana, au Yari et à la Naginata. L’ardeur des Nippons trouva dans ce carnage sa plus belle expression. Dans un tel chaos, les montures, affolées, s’enfuirent bousculant les cavaliers, semant le chaos dans leur retraite. Wun Zei fut lui-même jeté à bas de sa selle.
Pourtant, il poursuivit le combat. Lorsque Higashi descendit la colline boueuse avec ses hommes, il trouva le vieil Empereur tenant en respect cinquante samourai, avec autant de corps autour de lui. « Ecartez-vous », ordonna Higashi. Il mit pied à terre pour affronter l’Empereur à armes égales et lui offrit une dernière chance de se rendre. Wun Zei le maudit ; et donc ils luttèrent, luttèrent, luttèrent, le vieux combattant face à l’impétueux Nippon. Chaque homme reçut de l’autre une blessure, dit-on, mais enfin le dernier des Empereurs-Dragons de la lignée des Wun vit son vœu exaucé, et il périt, épée à la main, une malédiction aux lèvres et son honneur retrouvé. La mort de leur monarque réduisit à néant le courage des Zeng Hi, et alors que la nouvelle se répandait, Jûfan et soldats du commun jetèrent leurs épées et s’enfuirent.
On craignait dès lors qu’Asagai, capitale de l’Empire Zengghuo, ne subisse le même sort que Quangdo, car les deux fils de l’Empereur défunt, Yin Zi et Feng Juan, barrèrent les portes à l’approche d’Higashi et de son Bushidokan. Plutôt que de ployer le genou, les défenseurs d’Asagai mourraient jusqu’au dernier, promirent-ils, quand les émissaires Nippons parlementèrent avec eux. « Vous pouvez vous emparer d’Asagai, mais vous n’y obtiendrez que des os, du sang et des cendres », rétorqua Feng. Hélas, leurs soldats étaient moins pressés de mourir. Cette nuit-là, hissant un drapeau noir en signe de capitulation, ils ouvrirent les portes de la ville pour livrer le cadet, Yin Zi, l’aîné Feng Juan s’étant soustrait à ses ravisseurs cette nuit-là pour s’enfuir de la ville.
L’on raconte aujourd’hui que le Conquérant Nippon défit les chaînes qui entravèrent l’héritier de l’homme qu’il avait occit et lui offrit l’opportunité de rester en vie, à condition qu’il demeure pour le restant des jours qui lui sont alloués dans un temple et qu’il renie ses droits à la succession. « J’aime mieux l’honneur que la vie, et je préfère mourir que vivre en perdant ma dignité et en ayant bafoué la mémoire de mes ancêtres », rétorqua-t-il sur un ton qui n’invitait à aucunes répliques. Respectant la volonté du jeune homme, Higashi l’autorisa à se faire Seppuku.
Le couronnement
Le nouvel Empereur-Dragon Higashi, premier du nom, avait certes conquis l’Empire Zengghuo à vingt-cinq ans seulement, mais il devait à présent relever un redoutable défi : gouverner ce domaine nouvellement forgé et consolider son nouveau pouvoir.
VI - Hassling, le grand jeu oriental, la guerre patriotique (1519 - 1524)
En ces temps où l’intolérance religieuse est chose commune dans le monde, Hassling, véritable faisceau cosmopolite de religion et d’idéologies, fait figure d’exception et se distingue. Gouverné depuis Arkaelis, capitale de l’orient Selvyen, l’empire multiethnique d’Hassling demeure riche et puissant, bien qu’il ait en partie renié son héritage ancestral au profit de la valorisation des cultures qui lui sont étrangères situées sur et en dehors de son territoire. Depuis l’époque des premiers empereurs, la situation a effectivement changé : la lignée a désormais moins d’importance que les capacités et le talent, ce qui contribue à faire de l’empire une nation progressiste et « méritocrate ». Contrairement à son homologue occidental et malgré de multiples épreuves, l’Etat a maintenu un pouvoir stable ainsi que centralisé et un florissant commerce lui permettant de bénéficier de rentrées financières conséquentes qui l’a pourvu d’un puissant appareil militaire, justifié par la redoutable et constante menace qu’incarne deux voisins : les sultanats de Yûrai et de Ben-Ur.
Ce qui frappe au premier regard, en dépit de son immensité, en dépit de la puissance de sa flotte, c’est la variété des races et des climats qui partagent l’Empire Selvyen d'Hassling. De cette variété résulte l’absence d’un organe de gouvernement véritablement centralisé et une extraordinaire complexité dans la manière dont sont administrées les différentes possessions : Selvyens occidentaux, populations mêlées des steppes, Sarozaar de toutes sortes, Germains plus ou moins civilisés des Valesques, Temûriens tout à fait primitifs de la Stefiaar, les Hassling n’ont pas eu la folie de croire que le même régime convînt à tous ces peuples ; ils n’ont pas pensé non plus qu’il fût possible d’installer dès l’abord dans des territoires tout récemment acquis le même type d'autorité que dans des pays qu’ils possèdent depuis longtemps, les conditions de race et de climat fussent-elles semblables. A l'orée de sa fondation, consécutive à la colonisation des territoires achéens, en l'an de grâce 563, l'Impérium Selvyen d'Orient voulut en effet incarner un modèle à la fois unique et universel : une nation garantissant la liberté et la prospérité à ses citoyens, montrant le chemin au reste du genre humain. De fait, l'Etat ne vit jamais dans sa politique extérieure qu'un simple modus operandi au service de ce destin. Soucieux de ne pas mettre en danger l'unité dont il s'est échiné à maintenir, l'empire embrassa l'isolationnisme telle une panacée vers 644 tout en s'empressant de développer ses relations avec l'étranger et en proclamant son ascendant sur l'ensemble de l'Orient, refusant de trop s'empêtrer dans ces querelles occidentales dont il craint les conséquences autant qu'il en reconnaît les opportunités. l'Empire, à l'inverse, durant la première partie du dixième millénaire, s'évertua à accroître ses possessions à l'Est par tous les moyens à sa disposition - au prix fort de multiplier d'épuisantes guerres avec le sultanat de Yûrai. S'il parût évident que cet impérialisme agressif était tout-à-fait incompatible avec les idées des pères fondateurs de l'Imperium, et ce à plus forte raison puisque celui-ci est doté d'une telle puissance qui lui permit en effet de faire preuve de souplesse et de générosité, d'alléger le poids de sa domination envers ses protégés, « les royaumes-client situés à ses périphéries », et d'assurer ainsi à son hégémonie une forme de légitimité, l'Empire selvyen d'Hassling se révéla être une puissance expansionniste et extrêmement agressive.
La lourde défaite des armées selvyennes orientales à Karygstadt en 1412, contre les germains de la grande tribu des Vherundrur redistribua les cartes et bouscula l'ordre géopolitique, entérinant un nouvel équilibre ouvrant de fait vers une nouvelle période. En 1489, la paix de Trézilène signée par l'empereur Traegidius et le Sultan Shapur VII scella le sort des territoires à l'extrémité des marches septentrionales faisant office de délimitation des territoires Yûrai et Selvyen, et les partagea. Vingt ans plus tard, le refroidissement des relations avec l'Imperium selvyen d'Issling coincida avec la montée en puissance du Sultanat de Yûrai, qui reconfigura les rapports de force en Orient, marqués désormais par l'antagonisme entre deux superpuissances, Arkaelis et la Tixiana ghazide, qui luttent encore aujourd'hui pour l'hégémonie régionale mais doivent aussi composer avec la poussée spontanée d'envahisseurs - germains et barbares nomades venus du lointain pays de Temûr, qui menacent l'intégrité des deux nations. En conséquence, chacun des protagonistes dispersaient des énergies inestimables dans ces conflits sans fin qui les confrontent à des adversaires aussi divers qu'insaisissables contre lesquels il faut systématiquement s'adapter, tout en s'employant à renverser le statu quo géopolitique en leur faveur par rapport à l'autre. La difficulté étaitdonc pour les deux parties double : il faut constamment maintenir des réserves et ne jamais jeter l'ensemble de ses forces dans une bataille décisive.
Dans ce jeu étrange, l'Impérium Selvyen d'Hassling tissa des alliances avec les ennemis de son ennemi, garantissant de fait une fluctuation permanente des rapports de forces ainsi qu'une incertitude géostratégique que l'on pourrait presque qualifier d'endémique... Hélas, en 1519, le sultanat de Yûrai prit l'ascendant à partir de l'ascension au pouvoir de Nebuhadnissar IV. A la tête d’une nation à l’apogée de sa puissance, celle de Yûrai, le sultan nourrissait l’ambition de réécrire l’histoire du monde et d’imprimer à son peuple un nouvel âge d’or en envahissant les possessions orientales de l’Imperium Selvyen par un choc si brutal que celui-ci aurait entraîné sa déliquescence puis son anéantissement, mais les vents de la politique furent imprévisibles et ils vinrent brusquement changer d’orientation pour mener l’empire ghazide vers une phase décisive de son déclin que causèrent en partie l’émancipation du Spahaan, Arslan Erdin, qui fondit son propre royaume, le sultanat de Ben-hur, et surtout un élément inattendu. Contre toute attente, c’est une surprenante page de l’histoire qui va s’écrire, où un modeste prêcheur dont le sultan n’a jamais entendu parler et qui de fait ne représentait rien pour le « roi des rois » vécut un événement en apparence anodin, lequel se révélerait par la suite l’un des plus marquants dans ce recoin du monde : un homme, du nom de Daryan, communiqua à son peuple l’extraordinaire expérience spirituelle qu’il a vécu une décennie auparavant et fut contraint de quitter sa ville natale, Antalem, avec des milliers de guerriers convaincus de la justesse de la cause qu’ils ont embrassés et brûlant d'une foi inextinguible qui semblait décupler la puissance. Par le fil de l’épée et par la conviction de sa parole, ce prophète parmi les plus zélés unifia les peuples nomades d’origines Sarozaar du Désert du Rekdal et partit en guerre contre les sultanats de Yûrai, et de Ben-hur, emportant moult victoires avant de disparaître mystérieusement en 1514. Les exceptionnelles conditions dramatiques dans laquelle se déroula cette énième guerre entre l'Imperium et le Sultanat servit ainsi d'occasion à des individus d'exception pour changer la direction des événements en leur faveur. l'Impératrice Valéria était une femme de cette envergure et il est probable que si feu son pusillanime de père était resté au pouvoir, l'empire aurait durant ces années noires sombré et Nebuhadnissar triomphé malgré les offensives menés par les Daryani, avec les conséquences qu'un tel dénouement aurait entraîné sur le cours de l'Histoire. C'est précisément au moment même où tout semblait perdu que la jeune impératrice prit les mesures qui lui permirent d'inverser ce courant, en négociant une paix de compromis au prix d'un lourd tribut avec les Vherundrur multipliant les raids et assauts depuis près de vingt ans en Achaie, aux portes d'Arkaelis, afin de concentrer tous ses efforts contre les Sarozaar de Yûrai. Elle entama un ambitieux projet de réorganisation de fond en comble de l'Etat d'Hassling, de son économie, de son appareil militaire, subdivisant l'empire fédéral en une multitude de régions militairement autonomes, des « thèmes », se débarrassant d'encombrants mercenaires au profit d'une armée citoyenne. Outre le fait que l'Etat économisait de larges sommes précédemment allouées aux soldats professionnels, l'allocation de terres en échange des services militaires rendus aboutit à l'éclosion d'une nouvelle classe de paysans-soldats qui devint la colonne vertébrale des armées impériales en plus d'agir comme un puissant facteur de cohésion en ces heures sombres si propices à la désunion. La souplesse de la décentralisation militaire permit à l'Empire d'encaisser de gros échecs sans que l'ensemble de l'édifice ne s'effondre.
Ces réformes drastiques sauveront notamment Arkaelis du danger que couvre le Daryanisme. Ayant anticipé que les enjeux allaient au-delà de la confrontation immédiate avec les Sarozaar de Yûrai, voire de Ben-Hur, et que le soutien de son peuple, pluriel mais uni, était requit, à cet effet, l'Impératrice se lança elle-même dans ce que l'on pourrait considérer comme la plus grande croisade des temps modernes, exhortant son peuple à repousser l'envahisseur et à récupérer les territoires perdus. Sa campagne de propagande fut à tous points exemplaires et rapidement, l'empire substitua sa position défensive à une offensive à outrance. En 1519, le sultanat de Yûrai paraissait pourtant n'avoir jamais été aussi fort, atteignant son extension territoriale maximale, mais pourtant les vents de la politique tournèrent vers un nouvel acteur : le royaume de Daryan récemment constitué. A l'émergence des partisans du Daryanisme, rien en apparence aurait distingué ces nomades bédouins vivant dans ce désert inhospitalier du Rekdal des autres peuples nomades, Inrelith notamment, aux marches de l'extrême-occident. La culture bédouine prévalant par bien des aspects les peuples nomades des steppes, on y observait un peuple organisé autour de clans résolument fermés et jaloux de leur indépendance. Dans ce contexte, il aurait été fort difficile de concevoir qu'un de ces clans put rallier un peuple entier et s'unir de telle façon qu'il pourrait mettre en péril l'une des deux superpuissances orientales. Les Inrelith, jusque là, furent l'un des seuls peuples nomades ayant pu menacer l'existence d'un empire sédentaire mais leur fantastique épopée avait rapidement tourné court, et ce malgré leur puissance.
Présentement, en amont de ces réflexions, laisse voir se poindre une menace réelle où les Daryani, faisant fi de la perte de leur prophète qui aurait poser un frein à leur expansion, se montrent littéralement survoltées par leurs victoires contre des armées à qui d'innombrables légendes leur confèrent pourtant une réputation d'invincibilité. Ne craignant plus personne, convaincues qu'ils sont que leurs conquêtes n'expriment que la volonté de leur dieu, qui n'aspire qu'à unifier l'Orient pour enfin bâtir le Califat que leur a promit Daryan, les Daryani s'apprêtent à présent à bouleverser les données géopolitiques. Face à cette menace potentielle, alors que le monde se tient au bord du chaos généralisé, l'empire hésite sur la marche à suivre : faudrait-il intégrer ce peuple à la foi zélé à la vaste mosaique ethnico-religieuse qui le forme, comme il le fit à de nombreuses reprises, ou oeuvrer à sa destruction, étant entendu que la guerre face au Sultanat l'a affaibli et que le peuple, lassé de la guerre, ne souhaite qu'à vivre en paix ? De plus, Malgré l'échec avéré du projet de conquête entreprit par Nebuhadnissar et la sensible régression de la qualité de son armée, celle-ci maintient sa masse, assure encore à l'empire Ghazide une cohérence, une stabilité suffisante, et dispose d'une démographie dynamique afin de compenser les pertes récentes, quoiqu'il paraisse aujourd'hui évident que les revers et échecs militaires accumulés par le sultanat ont définitivement altéré l'éclat unique dont il avait autrefois brillé... Le lion blessé peut parfois mordre avec davantage de pugnacité, se plaisent à décrire les chroniques sarozaar.
Dernière édition par Templar le Sam 12 Mai - 0:23, édité 6 fois
I - L'élévation du Reyksavia
Les anciens chroniqueurs valysiens disaient vrai : au début du quinzième siècle, les Reyksaviens « grandissent en force ». Héritiers d’une ancienne civilisation industrielle qui s’est effondré dans des circonstances mystérieuses, ils avaient commencé à piller les terres slaves, comme, d’ailleurs, à se protéger des princes valysiens. Les chroniques anciennes, en effet, mentionnèrent que les Jarl versaient un tribut à Khalkingrad. Elles relatèrent également les nombreuses campagnes des terribles Tsars Vladislav, en 876, et de Iakov le Sage en 983. L’absence de détails concernant ces victoires semblerait indiquer l’absence de victoires elles-mêmes : guerriers astucieux et audacieux, vivant dans d’impénétrables cités-forteresses, les Reyksaviens défendirent avec succès leur archipel. Volontiers pillards, ils n’en demeuraient pas moins des pêcheurs et des chasseurs émérites. Cela Jusqu’au début du neuvième siècle, ils n’avaient ni villes ni organisation d’Etat au sens stricte, c’est-à-dire de force politique à caractère unificateur. L’arrivée des migrants teutons, les « Asbjorn », menés par le Roi-forgeron Stalkand, fut l’impulsion qui conféra aux derniers survivants d’une race divisée, épuisée par des guerres intestines, la force qui allait revitaliser leur civilisation décadente. Le métissage ainsi que le syncrétisme culturel qui résulta de l’immigration germanique donna naissance à un peuple nouveau en quête de sa propre grandeur. En 1345, le seigneur valysien, Arstov de Nezivie, en appela au ban, parce qu’il ne pouvait venir à bout lui-même de ces insulaires impies qui faisaient de leur athéisme une fierté. Installés sur le petit territoire offert par Arstov, à proximité de la Germanie orientale, les paladins qui formèrent l’ordre de Natura ne cessèrent d’organiser de terribles attaques en riposte des pillages commit par ces « hommes du nord », qui, ironiquement, contribuèrent à édifier un Etat fort dans l’Archipel septentrional en raison de leur brutalité.
La renaissance de la nation reyksavienne relevait de ces énigmes historiques que l’on croit parvenir à expliquer de multiples manières, sans pour autant épuiser ledit phénomène. Certains hommes de science calculèrent qu’à la fin de l’« obscure période », les populations qui peuplaient le Reyksavia étaient à peu égaux par le territoire et la population : près de deux millions d’âmes et un million neuf-cent mille kilomètres carrés, soit près d’un habitant par kilomètre carré. Un siècle plus tard, le Reyksavia devint un sérieux adversaire pour le tout-puissant Tsarat valysien, et un dangereux rival pour les projets coloniaux des empires occidentaux : les domaines de l’Empereur reyksavien s’étendirent dès lors de la Germanie du nord jusqu’aux terres extorquées au royaume gaélique de Vilkurix, vers ses côtes, lui donnant dès lors la mainmise sur tous les échanges commerciaux s’effectuant dans le triangle maritime qui était le sien. Peu nombreux, se taillant un empire à la force du glaive et par le négoce, les Reyksaviens firent exception dans un monde profondément ancré dans les traditions guerrières, lesquelles étaient regardés par tous comme les valeurs fondamentales qui le cimentaient.
L’apparition de l’ordre de Natura, ainsi qu’il a été spécifié, avait engendré un danger contre lequel les « Kriegsheer », les « Gautler » et les « Kurfust » unirent leurs forces. Entre 1345 et 1387, on comptait cinq grand raids contre les Gaels, et vingt-neuf contre les slaves. Dans les années suivantes, la proportion s’inversa : entre 1389 et 1416, on dénombrait vingt-trois razzias contre les Gaels et seulement deux contre les slaves. La raison fut évidente : les Naturiens devenaient de plus en plus forts, et les petits royaumes gaéliques, déchirées par des conflits internes, de plus en plus faibles. Ce fut d’ailleurs à cette époque qu’apparût un grand chef de guerre asbjorn du nom de Witikind, l’un des innombrables princes de l’archipel. En 1425, il s’empara de la riche cité de Volgorod, contribuant ainsi à décrédibiliser le Tsar Pereiaslavl, accusé d’avoir, par sa faiblesse autant que par sa couardise, déserté la ville injustement abandonnée à son sort. Obstiné et habile, il accrut ses possessions sur les côtes appartenant au Tsarat en décapitant l’ordre de Natura de ses chefs à la bataille de Zaivode en 1429. La chronique rapporta les événements sans fioritures particulières, mais de façon éloquente :
« Witikind était l’autocrate du Reyksavia… Régnant sur la terre reyksavienne, il tua ses frères et neveux, chassa les autres et se mit à gouverner seul… »
Les trente années suivantes de son règne furent consacrées à la consolidation de l’Etat reyksavien, à l’élargissement de son influence en Germania et de ses possessions en Britannia au détriment des royaumes indigènes, et au pillage ainsi qu’au rançonnage intensif des cités côtières valysiennes. Hélas, il mourût assassiné en 1460 par son neveu. S’ensuivit une longue période de troubles dans l’archipel, mais l’Etat instauré ne s’effondra jamais. L’un des éléments essentiels de cette consolidation fut l’adoption du principe de transmission de la couronne du père au fils, ou du frère aîné au cadet. A l’issue des terribles luttes de pouvoir qui fractionnèrent les îles, et à compter de la fin des années 1480 avec le sacre du Kriegsheer Traoren Tarnsgard, un obscur seigneur de guerre parvenu à s’élever par le fer et l’intrigue jusqu’au sommet du pouvoir, le Reyksavia devint un empire. Les contemporains de l’Empereur nordique s’accordèrent tous pour témoigner que, chargé d’une nombreuse famille, il voulut doter ses fils, ses filles, ainsi que ses petits-enfants, et qu’en conséquence, fit tout ce qui était en pouvoir pour constituer un empire colonial en Britannia. Sa mort en 1514 plongea l’archipel dans cinq années de trouble : le frère de l’empereur et ses sept fils morcelèrent les possessions reyksaviennes. Progressivement, les deux fils les plus capables, Franz et Harold, prirent le pouvoir en main. Chacun règne en bonne intelligence dans une dyarchie, se répartissant les tâches, la réalisation des ambitieux projets de conquête de l’île-continent de Britannia, et les capitales : Stradtford pour Franz, qui dirige la métropole, pendant que son jeune frère, Harold, administre l’empire colonial depuis Kallstrom.
II - La colonisation des îles de l’Archipel de Britannia
A la première moitié du XVe siècle, les premiers colons occidentaux et septentrionaux prirent pied en Britannia et furent accueillis sans hostilité par la plupart des autochtones. Ces relations, harmonieuses au demeurant, étaient vitales pour les colons qui, sans l’aide des indigènes, n’auraient pu survivre dans cette terre étrangère. Grâce aux indications de leurs hôtes, ils purent découvrir les céréales locales et la meilleure façon de les cultiver, ainsi que les emplacements les plus propices à la chasse et à la pêche. En retour, les colons enseignèrent aux indigènes les techniques de la métallurgie, de la sidérurgie, et leur donnèrent nombre d’animaux de trait et de guerre, qui furent ainsi réintroduits dans les îles. L’usage de ces bêtes de trait permit aux Gaels de voyager et de pratiquer le commerce sur de plus grandes distances. En dépit de leurs particularismes, ces tribus indigènes insulaires avaient en commun certaines coutumes et pratiques qui jetèrent les fondements d’une première société Britannienne. Au sein de chaque tribus, la famille constituait la valeur, mais guerre et croyances revêtaient également une grande importance. Les conflits territoriaux rendaient nécessaire la valorisation des chasseurs et des guerriers, de sorte que, dans nombre de communautés indigènes, les jeunes hommes recevaient une initiation visant à leur insuffler du courage et à les préparer au combat. La plupart de ces tribus avaient recours à des danses pour invoquer les esprits et obtenir leur protection avant d’attaquer l’ennemi, et toutes ou presques étaient menées par un chef unique auréolé d’un pouvoir spirituel fort. Dans certaines tribus, notamment chez les Kelion, ce monarque recevait l’assistance des guerriers et des sages les plus influents régulièrement réunis en conseil. Partout, la femme avait pour rôle essentiel d’assurer la descendance et de s’occuper des enfants, mais elle effectuait également diverses tâches nécessaires à la vie du campement. A l’exception de certaines tribus, les tribus Gaels étaient régies par un pouvoir patriarcal.
Hélas, les colons apportèrent également avec eux des maladies contre lesquelles les indigènes n’étaient pas immunisés et qui décimèrent leurs populations. Rapidement, les relations entre colons et autochtones s’envenimèrent, souvent du fait des usurpations territoriales et des abus de confiance pratiqués par ces derniers. Lorsque les colonies selvyennes affrontèrent les colonies germaniques afin d’accroître leurs emprises respectives sur les îles, de nombreuses tribus se trouvèrent divisées, à l’exemple des Alturii, qui s’allièrent pour certains aux Selvyens, et pour d’autres, d’ors et déjà germanisés, aux colons Teutons.
La résistance généralisée à l’avancée des colons nordiques et occidentaux donna naissance aux « guerres indigènes », qui durèrent pendant des décennies et trouvèrent leur conclusion en 1520 par l’annihilation de la plupart des forces impériales et la mise à mort des derniers grands chefs des tribus. Dès lors, la plupart des tribus indigènes furent cantonnées au sein de réserves souvent éloignées de leurs îles d’origines.
III - La conquête des Royaumes intérieurs
Durant les premières années qui succédèrent à l’installation des comptoirs commerciaux sur les côtes-est de Britannia en 1476, Haakon Skjorinson, explorateur émérite, explora les terres de cette mystérieuse île-continent. Ses successeurs, de même que les nombreux colons Teutons qui s’y installèrent, poussèrent les deux empires selvyens à se ruer sur ces vastes étendues qui appartenaient aux peuples gaels, lesquels se montrèrent farouchement hostiles à la présence de ces étrangers. Jusqu’en 1500, l’exploration asbjorn se limita ainsi aux îles situées à proximité de Germania, et les tentatives de colonisation se soldèrent par des échecs ; l’économie locale était d’une part insuffisante pour permettre une installation permanente des colons, et d’autre part, les conflits incessants avec les autochtones, qu’aggravait la brutalité des colonisateurs germaniques pour affirmer leur autorité sur leurs nouveaux sujets, rendirent peu rentable l’exploitation de ces territoires récemment conquis. En effet, les colons germaniques enrôlaient, souvent de force, les indigènes pour l’exploitation des mines et des domaines agricoles. Les dures conditions de travail ainsi que les maladies apportées par les étrangers entamèrent une saignée démographique, de sorte que les administrations coloniales Selvyennes et germaniques furent confrontées à une pénurie de main d’œuvre et contraintes à se tourner vers l’intérieur des terres, lesquelles appartenaient aux trois Royaumes de Faselione, Vilkurix et Lipnadd, berceaux de trois civilisations originales. A l'exception du royaume de Lipnadd, qui demeure indépendant, ces royautés, respectivement annexés en 1506 et en 1512, ont été conquis par les armes et les alliances subsidiaires et matrimoniales.
Les Faseliones régnèrent sur la partie méridionale de Britannia, jusqu’à leur rencontre infortunée avec les Reyksaviens. Née le long de la vallée de Brigatoa, la civilisation Faselione établit sa domination en l’espace d’un siècle seulement, sur un territoire comprenant, outre les côtes-est, de larges domaines d’Astasa, de Cylis et de Kjavik. La société reposait sur une institution impériale investie d’une autorité totale, le mot « Faselione » signifiant Empereur. Avant cette apogée, les Faseliones avaient formé une des nombreuses tribus occupant le sud de l’Ile-Continent, et c’était sous la conduite des trois empereurs, Acatée, Alkein et Velnyr, qu’ils entreprirent une politique d’expansion et de conquête qui les mena loin de leurs contrées. Afin d’administrer efficacement leur immense territoire, les Faseliones développèrent un système de gouvernement très hiérarchisé. L’empereur, ou Faselione, transmettait ses ordres à quatre gouvernements provinciaux, chacun dirigé par un membre de la famille impériale. A leur tour, ces nobles déléguaient leur autorité à des administrateurs dont la fonction essentielle consistait à maintenir l’ordre et de s’assurer de la productivité des terres. Le rang le plus bas de cette société était occupé par les paysans et les travailleurs des mines, et chaque communauté d’environ dix familles était tenue de s’acquitter d’un impôt impérial, perçu par lesdits administrateurs. Les pauvres étaient également tenus d’assurer les travaux d’intérêt général, dont la construction de ponts, et de rejoindre, en cas de besoin, les armées impériales. En retour, ils recevaient le soutien de l’Etat lorsqu’ils étaient empêchés de travailler par l’âge ou la maladie, et avaient accès à des denrées lorsque les récoltes s’avéraient insuffisantes. La civilisation Faselione était donc essentiellement agricole. Elle transforma son environnement montagneux par l’aménagement de terrasses qui permettaient d’accroître la superficie des surfaces cultivables. Habiles artisans, quoiqu’ils ne pouvaient égaler les Asbjorn dans l’art de la métallurgie et de la sidérurgie, ils excellaient dans le travail des métaux, se targuaient même d’avoir pu accomplir des prouesses architecturales. On leur attribuait également de solides connaissances médicales, lesquelles leur permettaient de pratiquer des trépanations.
Les Vilkurix étaient, quant à eux, le peuple le plus puissant de toutes les Iles de Britannia. Durant trois cent ans, leur hégémonie était incontestable. Formé par l’union de plusieurs tribus venues du septentrion, le royaume Vilkurix établit une première cité sur un ensemble d’îlots marécageux du lac de Eyate, fondant une colonie qui donna plus tard son nom au Royaume éponyme. Par l’assèchement des marécages et la construction d’avenues, de canaux et d’îles artificielles, les Vilkuriens firent de leur cité-mère la ville la plus peuplée de l’Archipel de Britannia. Forts de leur unité, ils donnèrent bientôt libre-cours à leur soif de conquête et soumirent les peuples voisins tantôt par des manœuvres politiques, tantôt par les armes. Ils appliquèrent ces deux méthodes avec zèle et devinrent très rapidement les maîtres du Nord Britannien, collectant tributs, denrées, otages et esclaves auprès d’une multitude d’Etats vassaux. Les Vilkuriens affirmèrent de fait leur autorité de manière despotique et brutale : le non-paiement de l’impôt par tel ou tel Etat provoquait une réaction immédiate de leurs armées. Ces ripostes guerrières, souvent excessivement brutales, étant considérées comme nécessaires afin d’assurer le bon entraînement des soldats, de sorte qu’ils n’hésitaient pas à attaquer tel ou tel Etat jugé récalcitrant ou de loyauté incertaine. Leur pratique de la guerre était également unique. Plutôt que de s’organiser en unités destinées à exterminer leurs adversaires, les combattants Vilkuriens livraient des combats individuels et s’efforçaient de capturer leurs ennemis, espérant livrer ces derniers à leurs dieux lors des rites sacrificiels. Un guerrier Vilkurien ne pouvait ainsi cueillir les honneurs qu’après la capture de trois combattants. Il lui était également interdit de se couper les cheveux avant d’avoir atteint cet objectif, de sorte que le port d’une longue chevelure était un motif de honte. En dépit de leur cruauté apparente, illustrée par la pratique des rites sacrificiels, les Vilkurix ont édifié une civilisation riche et complexe. Leur société était divisée en trois classes principales formées par les nobles, les marchands et les paysans. Prêtres, généraux et administrateurs étant issu de la noblesse, tandis que la classe paysanne fournissait les travailleurs de la terre, les ouvriers et les soldats. Il existait en effet des esclaves, mais leurs conditions étaient comparativement moins rudes à celles de leurs homologues en Orient : ils étaient certes vendus et achetés comme du bétail mais ils ne naissaient pas esclaves et pouvaient revendiquer leur liberté après un certain temps passé au service de leur maître. Quant aux hommes libres, à l’âge de quinze ans, les Vilkurix de sexe masculin étaient formés selon un apprentissage formel incluant l’apprentissage des rituels religieux, de l’histoire de leur peuple et du maniement des armes de la magie. Outre de nombreux temples dédiés aux cultes religieux, les cités Vilkurix englobaient divers lieux d’enseignement et plusieurs places vouées au commerce où s’échangeaient objets usuels et denrées. La plupart des cités étaient divisées en trois zones distinctes et organisées autour d’un vaste temple central qui accueillait également les jeunes mages. Habiles constructeurs, les Vilkurix usèrent de leurs connaissances pour établir des systèmes d’évacuation des eaux usées et doter chaque habitation de latrines, érigeant également de vastes aqueducs qui alimentaient les cités en eau fraîche. La pratique des sacrifices humains était ancrée dans la société Vilkurix. D’origines religieuses, ceux-ci revêtirent rapidement une utilité politique, car ils concouraient au maintien de l’ordre civil. L’âge et le sexe des victimes variaient en fonction de la divinité à laquelle le sacrifice était destiné – il pouvait s’agir de jeunes filles, de prisonniers, d’hommes vigoureux ou d’infirmes – et la mort était infligée selon diverses méthodes par les mains des grands prêtres. A Vilkurix fut même construit des édifices composées des crânes et ossements des victimes, lesquels étaient ainsi exposés à seule fin d’honorer les dieux et consolider l’autorité des nobles. Lors des grands festins annuels où la chair desdits victimes était aussitôt consommée, ces sacrifices prenaient des proportions gigantesques. Certains seigneurs de guerre germaniques, « les Kriegsheer », décrivirent l’exécution de plusieurs milliers d’hommes et de femmes en quelques jours, mais ces chiffres étaient probablement exagérés à des fins politiques. On peut cela dit estimer à plusieurs centaines le nombre de sacrifiés lors de ces cérémonies sanguinaires, et à près de trente mille celui des victimes au cours d’une seule année durant l’histoire du royaume Vilkurix.
Isolé, le royaume de Lipnadd a toujours su se tenir à l’écart des dominations étrangères qu’avaient connues les royaumes de Vilkurix et de Faselione. Tout Au plus devait-il tolérer, dans les ports de la côte orientale, quelques colonies de marchands d’origines Asbjorn que l’on appelait « les Ostmen », autrement dit « les Orientaux », dont la présence stimulait l’économie locale. La capitale de ce Royaume se nommait Oswall, en relations commerciales avec tous les pays Reyksaviens et les seigneuries féodales Valysiennes. Lippnad n’en avait pas fait pour autant son unité. Un très théorique « roi supérieur » étendait sur les deux tiers de l’île une suzeraineté que quatre autres rois ne reconnaissaient qu’à la condition de n’en faire aucun cas. Le tiers septentrional, dépeuplé, n’avait même pas de chef. Partout, la réalité du pouvoir résidait dans les mains de quelque cent quatre-vingt-cinq roitelets. La confusion politique se doublait d’une absence de hiérarchie religieuse qui traduisait la faiblesse de l’imprégnation nordique dans la population. Quelques prêtres aux sièges longtemps changeants ne formaient pas une structure territoriale et la prééminence de l’archiprêtre demeurait purement nominale. Les temples étaient les principaux foyers de vie religieuse, mais ils n’étaient que les pâles héritiers des grands centres de rayonnement intellectuel des siècles passés.
IV - L’essor du Tsarat Valysien (1400 - 1510)
Depuis longtemps déjà, les historiens océaniens ont pris l’habitude, certes très controversée, de distinguer les bons et les mauvais siècles, selon qu’ils connurent des conjonctures plus ou moins favorables. Ainsi, depuis une cinquantaine d’années, l’expression de « Beau siècle », forgée par les intellectuels valysiens, s’est-elle imposée dans les cours. En effet, à la vue de nombreux indicateurs chiffrés, le siècle valysien fut incontestablement une période de prospérité dans le Tsarat : population, productions et échanges ont connu des accroissements qui témoignèrent d’un dynamisme certain.
Dans le domaine de la démographie, les chiffres sont éloquents. Décimée par les persécutions germaniques, par les guerres du Nord (1123 – 1380) et les épidémies, la population du Tsarat n’alignait que vingt millions d’âmes dans les années 1430. Près d'un siècle plus tard, la population ne comptait pas moins de soixante millions d’habitants. Cette croissance s’expliquerait par de multiples facteurs tels que le recul de la mortalité dû à l’espacement des grandes épidémies et l’abaissement de l’âge au mariage qui entraînait un accroissement de la natalité. Le dynamisme démographique était donc incontestable et frappera d’ailleurs les Seigneurs Valysiens. La production agricole, si importante dans une économie essentiellement terrienne, connût elle-aussi un indéniable développement. Bénéficiant d’un climat clément, l’agriculture fit des progrès comme le témoignait l’extension des labours et les entreprises de déforestation. Pour l’essentiel, les progrès concernèrent les cultures vivrières qui permirent un recul des disettes. La production manufacturière prospéra également. Elle concerna tout d’abord des secteurs anciens mais revitalisés. Le textile tout d’abord où, au développement de la production courante, s’ajouta l’extension d’une industrie naissante. La soierie progressa et vit sa production se concentrer dans les grands centres économiques. Soutenue par la découverte de nouvelles méthodes, la métallurgie connût une croissance encore plus nette. Sur les dix mille forges que comptait l’Empire du Tsar, trois mille furent crées durant le règne de Vassilli III. Enfin, l’imprimerie, introduite depuis les années 1450, se développa avec une rapidité confondant. De tous ces accroissements résultèrent une intensification des échanges et un essor du commerce. A l’intérieur des territoires féodaux, celui-ci progressa, stimulée par la croissance des villes, qui réclamaient un ravitaillement à la mesure de ses exigences croissantes, et les industries demandeuses de matières premières. Croissance démographique et croissance économique contribuèrent ainsi à l’avènement d’une période de prospérité couvrant une partie au moins des années 1500. Etabli, le dynamisme du XV° siècle Valysien relevait de l’action de l’action conjointe d’un ensemble de facteurs où il faut distinguer causes internes et externes. Tout d’abord, la prospérité du Tsarat s’inscrivit dans une conjoncture internationale plus que favorable. Avec la fin des Guerres du Nord et la relative pacification du Sultanat de Yûrai et la destruction de la confédération Temûrienne, l’Orient inaugura une période de stabilité. Certes, par leur razzias, les Teutons ne manqueront pas d’ardeur guerrière mais, pour l’essentiel, les conflits épargneront le territoire impérial intérieur.
A cette accalmie, il fallut s’ajouter les retombées économiques des découvertes reyksaviennes. Si les Valysiens n’occupèrent qu’un rôle mineur, le Tsarat en tira les bénéfices, précisément à partir des années 1490, l’Etat ayant bénéficié d'un afflux d’esclaves corvéables à souhait et de métaux précieux qui provoquèrent d’une part un abaissement du coût de la main d’œuvre ainsi qu’une inflation généralisée qui stimula l’activité économique en incitant les grands propriétaires à vendre, produire et investir, d’autre part. Ces causes externes, qui occupèrent bien évidemment un rôle non-négligeable, ne firent que renforcer un dynamisme interne et plus anciens qui puisait à plusieurs sources anciennes. Le renforcement de l’Etat, accélérée par la Tsarine Antonina, ne fut pas dépourvu de conséquences sur l’économie. Parallèlement à l’augmentation de ses besoins, la monarchie s’intéressait désormais à l’activité économique où l’on vit apparaître un embryon de politique planifiée. L’impact de la croissance démographique citée ci-dessus fut plus déterminant encore. En effet, l’augmentation de la population s’était traduite par une augmentation des producteurs aussi bien dans les espaces ruraux que dans les espaces urbains. Il aboutit également à une augmentation de la consommation qui stimula les secteurs liés à l’agriculture, lesquels purent bénéficier et de la remise en culture des terres et des campagnes de défrichage. Cet accroissement de la demande, générateur de marchés, favorisa l’extension de la lettre de change qui offrit aux négociants un nouveau moyen de paiement. Ceux-ci profitèrent aussi de l’élargissement du crédit. Dans les grandes villes industrielles et commerçantes de nouveaux entrepreneurs apparurent : les Iazaroi, métisses nés de l'union entre valysiens et slaves. Cette prospérité puisa donc dans une vitalité interne stimulée par la monarchie et résultant d’une croissance démographique due à la fin des calamités.
Cela dit, si ce tableau ainsi peint paraît flatteur, il conviendrait cependant d’y apporter de sérieuses nuances.
En premier lieu, force était de constater que les mouvements de l’économie ne suivaient pas un rythme séculaire. De fait, la croissance économique débuta bien avant 1500. Démographie et productions s’envolèrent, en effet, mais à partir de 1520, la croissance agricole marquait un net essoufflement. Cette prospérité était en fait un rattrapage plus qu’un décollage. Le dynamisme se heurtant à l’inertie d’une structure féodale excessivement rigide et aux freins qu’imposèrent le servage et les lois racistes à l’endroit du peuple Slave, les conditions d’une « Révolution sociale et économique » furent incomplètes. Dans l’agriculture, qui plus est, les progrès étaient moins qualitatifs que quantitatifs. Les techniques de cultures ne connurent guère d’innovation et les rendements plafonnèrent à un niveau atteint depuis le premier millénaire. Ainsi la croissance agricole s’était effectuée surtout par la reconquête d’un domaine cultivable abandonnée lors des hécatombes des siècles précédents. Cette reconquête achevée, la production de denrées alimentaires stagna et réfréna la croissance démographique. A partir des années 1510, le Tsarat était de nouveau un « monde plein » dans lequel se maintint difficilement un fragile équilibre entre ressources alimentaires et niveau de population. Dans l’industrie, le développement de quelques secteurs modernes ne remit pas en cause l’écrasante prépondérance du petit artisanat traditionnel. Seul le commerce vit poindre de nouvelles structures porteuses d’avenir.
Enfin, la prospérité du Tsarat connût de sérieuses limites sociales car cette croissance ne profita bien évidemment point à tous les groupes sociaux. Les Iazaroi étant traités comme des sujets intermédiaires à qui échurent les basses tâches telles que le commerce et l’industrie, les Slaves comme des serfs tous juste capable d’offrir une main d’œuvre docile, et les Valysiens comme une race de seigneurs investie d’une autorité absolue et incontestable, cette société régie par une profonde inégalité et génératrice de tensions parût de prime abord inapte à constituer les structures susceptibles de maintenir cette croissance et d’exploiter les richesses contenues sur le sol du Tsarat. L’inflation enrichit les seigneurs car elle était bénéfique à tous ceux qui possèdent des terres. Dans les bas-fonds de l’échelle sociale, la multitude de petits paysans, vivant dans une précaire autosubsistance, et surtout salariés des campagnes et des villes, dont les salaires ne suivent pas cette inflation, subissent une forte dégradation de leur situation. Ainsi l’essor du Tsarat s’accompagnait également d’une hausse de la pauvreté.
L’image d’un « Beau siècle Valysien » demeure ainsi une image qui ne traduit pas une réalité plus complexe : la prospérité tend à s’éteindre, et la conquête semble être le seul choix possible afin de contenir les débordements d’une société en proie à une tension allant croissante !
V - La guerre d’Arashi (1520 – 1528)
Pour saisir les tenants et aboutissants de la guerre d’Arashi, il convient tout d’abord de démêler les fils qui constituent sa trame.
Depuis toujours, le Dai Yamato était l’un de ces Etats de moyenne importance situés à la périphérie de l’Empire Zengghuo et entretenait avec celui-ci des relations marquées par sa soumission humiliante à son égard. En effet, Wun Zei, l’Empereur-dragon, qui se prétendait descendant des Anciens Dieux, se considérait comme l’essence matérialisée sur terre de Tza’haang, le Dieu de la nature, et méprisait par conséquent tous les peuples d’orient qui n’intégraient pas la masse ô combien vaste de ses serviles sujets. En 1488, cependant, le Dai Yamato avait étendu son influence sur de nombreuses îles et archipels méridionales, et de ce fait, s’était trouvé en porte-à-faux avec son éminence impériale.
La guerre de Takuni (1502 – 1506)
A cette période, la menace d’une invasion Zeng Hi se précisait. Aux débuts du XVI° siècle, l’extrême-orient avait été conquis par l’Empereur depuis les steppes d’Altai jusqu’aux denses forêts méridionales de Yi’Kur. Celui-ci porta rapidement un intérêt particulier au Dai Yamato, envoyant par l’intermédiaire des Temûriens des lettres officielles sollicitant l’ouverture de relations diplomatiques amicales, lesquelles étaient cela dit assorties d’une formule menaçante : « Il nous déplairait d’avoir à user de la force ». Le vieil Empereur Nippon, Torune, se montra intraitable, au dam du monarque Zeng Hi qui proclama aussitôt son intention de s’emparer et des Iles sous domination Nippones et du Dai Yamato lui-même. Aidés d’auxiliaires Temûriens et Sum’n’Kur, les Zeng Hi débarquèrent sur les côtes de Haizen en 1502. Les combats ne durèrent qu’une journée mais furent d’une violence inouie : les assaillants utilisaient des flèches empoisonnées et des sortes de bombes explosives qui produisaient un bruit assourdissant. Surpris par les techniques de guerre peu conventionnelles employées par les Zeng Hi, les guerriers Nippons étaient désorientés lors des premiers affrontements. Les Zeng Hi prirent rapidement l’avantage mais, au soir, une tempête se leva et les contraignit à rembarquer. En 1506, les envahisseurs Zeng Hi lancèrent une seconde campagne en réunissant plusieurs dizaines de milliers d’hommes, certains chroniqueurs alignant même le nombre de deux cent mille hommes. De leur côté, les Nippons avaient fortifié les côtes nord-ouest de l’île d’Haizen. Comme en 1502, les Zeng Hi dévastèrent les îles nippones au large, Taikazan payant un lourd tribut en vies humaines. Les Zeng Hi débarquèrent donc, mais cette fois-ci, les samourais avaient pris la mesure de leurs adversaires en bâtissant des murets et en levant des pieux, empêchant la cavalerie Zeng Hi de sinistre réputation de se déployer et de fondre sur eux. A l'issue d’une semaine de combats acharnés, les envahisseurs continentaux ne parvinrent qu’à établir une petite tête de pont qu’ils finissent d’ailleurs par abandonner pour se replier sur les îlots conquis afin de reprendre leur souffle. C’est alors que pour la seconde fois, la tempête déferla. L’armada Zeng Hi fut dispersée, coulée, brisée. Les trente mille rescapés Zeng Hi, Temûriens et Sum’n’Kur, acculés sur les îles et sans espoir de reprendre la mer, furent passés au fil de l’épée. L’expédition fut un fiasco. Miraculés, les Nippons considérèrent cet ouragan comme une manifestation de la providence, convainquant ces derniers du caractère sacré et inviolable de leur patrie.
Durant cette épreuve, les dirigeants du Dai Yamato ont révélé sang-froid et fermeté. Si la victoire sur les continentaux leur appartint en premier lieu, elle était aussi celle des guerriers dont la majorité provenait des provinces occidentales, vassaux hommes-liges ou non. Puis secondairement, c’était aussi la victoire de la cour de Taishima qui avait commandé des prières pour la prospérité du pays, et enfin des sanctuaires qui ont su convaincre les divinités du pays d’intervenir sous la forme de vents divins par deux fois contre l’envahisseur. Non seulement, les dirigeants, Torune en tête, ont su mobiliser l’énergie combattante des guerriers du Dai Yamato, mais ils ont aussi su tirer avantages d’une situation urgente. Les guerres Zeng Hi permirent à l’Empereur d’étendre considérablement son autorité dans l’ouest du pays, en ordonnant aux gouverneurs de mobiliser tous les guerriers de leurs provinces, y compris ceux qui ne seraient pas les vassaux directs de son éminence. Le pouvoir impérial prit dès lors une dimension nationale.
Hélas, les anciennes castes militaires des « Bushi » sortirent de cette épreuve insatisfaites et d’humeur turbulente. Pendant les mois et les années passées hors de leur domaine pour organiser la défense du pays, nombreux ont été les seigneurs qui se sont appauvris ; ceux-ci déplorèrent l’absence de butin à partager. Leur ancien idéal d’indépendance et de puissance, déjà fort ébranlé, fut contrarié. A présent, il convenait d’employer ce mécontentement général à des fins opportunistes.
Durant les années suivantes, avec la mort de l’Empereur Torune et l’arrivée au pouvoir du Régent Yûsuke, d’abord précepteur du jeune prince Higashi, l’Etat du Dai Yamato avait connu des transformations internes avec le développement du commerce et la mise en valeur des mines d’argent et de fer qui donnèrent un caractère nouveau au pouvoir du monarque Nippon, un pouvoir reposant désormais sur une armée remarquablement équipée et entraînée grâce aux subsides qui lui étaient consacrés. Certes, il devait toujours prendre en considération l’accord de cette dernière pour la reconnaissance de sa légitimité, mais il avait tendance à mener sa propre politique qui allait très vite l’opposer aux Etats-cités fortifiés du Nord ; les mêmes cités qui, depuis les guerres pour assurer la défense du pays, ont combattu afin de garantir l’indépendance du Dai Yamato. Une courte guerre éclata, laquelle vit Yûsuke triompher de cette fronde menée par les Princes rebelles. Celui-ci, au lieu de pousser son avantage, opta pour une convocation des représentants des communautés Nippones – cités et Etats fédéraux – à Jizen pour établir avec eux une alliance que l’on nomme aujourd’hui Jīzenrīgu, « la Ligue de Jizen ». De cette alliance, Yûsuke en fut l’Hégémon, c’est-à-dire, le maître incontesté, tout en étant épaulé et surveillé par un conseil des alliés. En cela, le Régent s’inspirait du modèle des alliances qu’édifièrent les Etats-cités Nippones des temps antiques. Yûsuke s’assigna donc pour tâche de donner à cette alliance l’objectif de porter la guerre contre l’Empire Zengghuo pour, dit-on, laver l’honneur impérial d’une part, et de libérer les cités Nippones assujetties à l’autorité de l’Empereur Zeng Hi, d’autre part. L’intention proclamée d’émanciper les Nippons continentaux permit ainsi au Régent d’intégrer le Yatai, l’organisation composée des représentants des plus puissantes principautés administrant le sanctuaire du Dieu Yesudai, et d’agir de fait en tant que dirigeant de l’ensemble du Dai Yamato. Les opérations débutèrent donc en 1518 sur les côtes nord de Zengghuo par un débarquement conséquent, mais la mort soudaine du Régent entraîna un retard dans le développement de cette campagne. Pour faire reconnaître son autorité, le Prince Higashi dut rétablir l’ordre dans son royaume puis régler le problème que posait la cité d’Hyaga, laquelle avait participé aux luttes face au Régent Yûsuke, en la châtiant avec une rare sévérité. Ce fut après avoir affirmé son autorité que le jeune empereur songea à reprendre les opérations militaires en Extrême-orient.
Ce qui devait être une opération limitée allait très vite prendre une toute autre dimension. Empereur d’un Dai Yamato qui ne rêvait qu’à s’étendre, Higashi, dont l’éducation avait joué un rôle décisif dans ses succès ultérieurs, était un homme d’une grande intuition pratique. Sans émettre le désir de faire de lui un héros moderne ou visionnaire, il fallut reconnaître que ce jeune prince voyait haut et loin. Ainsi, il considérait, et la véracité de cette intention fut corroborée par des faits concrets, que l’Empire Zengghuo était l’étape charnière à la conquête… du Tsarat Valysien, prédisant qu’un jour celui-ci dominerait le monde. Incontestablement, son projet était visionnaire. Il n’avait cela dit rien à voir avec les soudards qui conquirent les îles méridionales, et à l'instar des lointains empereurs germaniques, était mû par une vision d’unité par la réconciliation.
Tout commença par la bataille de Kwei Yû, qui vit l’écrasante victoire des Bushidokan face aux armées menées par les stratèges Zeng Hi. Prenant possession du petit pays de Lao’zeitang, il reçut en cadeau vingt jeunes femmes, dont l'une d'elle, Mei Zhao, pour qui la grâce, disaient non sans emphase les chroniqueurs, « n’avait d’égale que sa lucidité », avait séduit le jeune empereur. Higashi en fit sa maîtresse, son interprète et un conseiller politique d’une valeur inouie ; elle fut renommée Yuki. Puis, à l’intérieur des territoires qu’il avait conquis, Higashi fut visité par les ambassadeurs de l’Empereur-Dragon, ceux-ci ayant pour mission de le convaincre de rentrer chez lui et pour ce faire le comblèrent de fabuleux présents, qui, ironiquement, excitèrent la cupidité des samourai au lieu de la satisfaire, qui étaient à présent persuadés que l’ambitieuse entreprise du jeune empereur ferait d’eux des hommes riches et puissants. Higashi traita les Zeng Hi avec la plus grande courtoisie, et les fit assister à une démonstration de force des samourais, avant de leur dire qu’il souhaitait affronter en duel leur empereur. C’est alors que le visitèrent les envoyés du seigneur de Yaanxi, une province tributaire de l’empire. Ils lui proposèrent une alliance contre le gouvernement central, Yuki, sa maîtresse, lui ayant déjà expliqué que bien des sujets de l’Empereur-Dragon le craignaient, le haissaient et souffraient impatiemment le joug. Cette confirmation l’incita à se rendre à Yaanxi et à renforcer son armée composée de quarante mille hommes de vastes contingents locaux. Les chroniqueurs Nippons narrèrent avec précision la manière avec laquelle le seigneur des lieux, « avec force larmes et soupirs, lui dit comment les Zeng Hi les tenaient soumis, et chaque année exigeaient de leur livrer de nombreux fils de filles pour les destiner à une vie servile dans les maisons, les champs, les mines, et il présenta tant de plaintes que nous n’en souvînmes plus ».
Higashi se mit donc en marche vers Yûshuan, car le seigneur de Yaanxi lui avait conté la guerre entre les guerriers de ce pays et les armées impériales : une alliance devait être possible, confirma Yuki. Une série de durs combats opposa Higashi à ses futurs alliés, mais la haine de ces derniers étant plus vive que la crainte provoquée par la venue du Nippon, le seigneur opta pour une alliance. Higashi les convainc que l’heure de la libération arrivait avec lui, se gardant d’apparaître comme un conquérant uniquement obsédé par l’appât des richesses de ce pays. Il entendit prouver, au contraire de l’occupation Zeng Hi du Dai Yamato qui avait laissé de très mauvais souvenirs, qu’il était respectueux des coutumes des locaux. Epaulé par deux solides alliés, le jeune Empereur Higashi, âgé de vingt-deux ans, débuta l’Invasion de l’empire Zengghuo.
Les batailles se déroulèrent ensuite dans les reliefs escarpés du Wuunxi. L’empereur-Dragon, confiant en ses forces, sa puissance et son expérience, défia son adversaire Nippon, gageant sur une victoire rapide qui aurait tôt fait d’affirmer, sinon renforcer, son prestige. Hélas, son arrogance, ou, ainsi que le décrivirent ses contemporains à postériori, son manque de « lucidité », le conduisit à affronter l’ensemble des armées adverses afin de les anéantir toutes, son écrasante supériorité numérique ainsi que les compétences martiales des seigneurs-dragons Temûriens récemment gagnés à sa cause devant lui assurer une mainmise dans le combat à venir. Hélas, la combativité des Nippons et l’originalité des tactiques qu’employèrent ces derniers fit basculer le rapport de force en leur faveur. Ce fut « La débâcle de Wuunxi » durant laquelle, trois cent mille soldats Zeng Hi furent encerclés puis annihilés. Aussi vrai que périt la majorité des soldats mobilisés durant la bataille, le prestige et l’honneur de l’Empereur Zeng Hi, qui avait fui pendant la bataille, en ressortirent exsangue et l’éclat dont il avait autrefois brillé en fut irrémédiablement ternit.
Les Nippons et leurs alliés exultèrent d’avoir laver l’opprobre qui souillait leur honneur et celui de leurs ancêtres. Comme enhardis par cette victoire, une frénésie démente s’empara de leurs rangs, laquelle fut la principale raison qui aurait expliqué les tenants et aboutissants du triste épisode du sac de la richissime cité de Quangdo, principauté ayant l’audace de résister au conquérant en affirmant sa loyauté à Wun Zei, l’Empereur-Dragon. Considéré tel un libérateur parmi les populations oppressées, l’éclat dont il brillait fut terni par le sang versé ce jour-là, et par là-même, le respect qu’il inspirait se teinta d’une crainte froide.
Face à son pire ennemi, l’Empereur-dragon, craignant de perdre le soutien des « Jûfan », prit une décision téméraire : jeter son va-tout dans une bataille incertaine afin de forcer l’étau constitué par les troupes Nippones, en misant sur la répulsion que provoqua le sac de Quangdo et avant tout sur son titre d’Empereur pour fédérer ses alliés face à l’ennemi. La bataille qui s’ensuivit fut digne des légendes antiques. Coutumier des combats, Wun Zei voulait déterminer lui-même son sort, sabre en mains. Ainsi, Wun Zei quitta-t-il une dernière fois sa capitale pour affronter l’envahisseur.
L’approche de l’Empereur-Dragon ne surprit nullement Higashi et ses samourais. Une pluie diluvienne, sinistre prélude, chagrina les cieux, ce matin-là ; à midi, elle vira à la tempête, à « l’Arashi ». Les seigneurs féodés de l’Empereur Wun Zei le pressèrent de remettre d’un jour son assaut, dans l’espoir que la pluie s’apaiserait. Celui-ci refusa, purement et simplement. Au surplus, ses armées surpassaient celle des conquérants Nippons à presque… huit contre un, avec presque quatre fois plus de mages et de cavalerie lourde, nonobstant d’ailleurs la présence des trois cent Dragons Temûriens. Solidement retranchées, la vue des bannières Nippones détrempées claquant sur ses propres collines ainsi que les cris que poussèrent leurs porteurs l’ulcéra, et le vieux guerrier ne manqua guère de remarquer que la pluie soufflait du sud, au visage des forces ennemies. Aussi Wun Zei, l’Empereur-Dragon, donna-t-il le signal d’attaquer, et la bataille que l’Histoire nomma « le funeste Ouragan » commença. Le combat se prolongea jusqu’aux profondeurs de la nuit, et le combat fut sanglant. A quatre reprises, Wun Zei lança ses cavaliers lourds sur les positions ennemies, et quatre fois il échoua à enfoncer les lignes adverses : les pentes étaient raides, les pluies avaient rendu la boue molle, et en définitive, les palefrois s’enlisaient, brisant la cohésion et l’élan des charges. Cela étant dit, les Zeng Hi eurent davantage de succès face aux fantassins Nippons. Aveuglés par la pluie, les envahisseurs ne les virent gravir les collines que trop tard, et les cordes humides des arcs rendirent leurs arcs inutiles. En outre, en dépit de leur courage et de leurs talents au combat, les combattants du Bushidokan, face à la supériorité numérique des Zeng Hi, furent rapidement submergés. Une colline tomba, puis une autre. La quatrième et dernière charge de l’Empereur-Dragon enfonça le cœur des forces Nippones… pour laisser place à la fureur des dragons Temûriens. Nombreux furent les preux ce jour-là qui périrent dans les flammes, et nombreux furent les dragons massacrés au Katana, au Yari et à la Naginata. L’ardeur des Nippons trouva dans ce carnage sa plus belle expression. Dans un tel chaos, les montures, affolées, s’enfuirent bousculant les cavaliers, semant le chaos dans leur retraite. Wun Zei fut lui-même jeté à bas de sa selle.
Pourtant, il poursuivit le combat. Lorsque Higashi descendit la colline boueuse avec ses hommes, il trouva le vieil Empereur tenant en respect cinquante samourai, avec autant de corps autour de lui. « Ecartez-vous », ordonna Higashi. Il mit pied à terre pour affronter l’Empereur à armes égales et lui offrit une dernière chance de se rendre. Wun Zei le maudit ; et donc ils luttèrent, luttèrent, luttèrent, le vieux combattant face à l’impétueux Nippon. Chaque homme reçut de l’autre une blessure, dit-on, mais enfin le dernier des Empereurs-Dragons de la lignée des Wun vit son vœu exaucé, et il périt, épée à la main, une malédiction aux lèvres et son honneur retrouvé. La mort de leur monarque réduisit à néant le courage des Zeng Hi, et alors que la nouvelle se répandait, Jûfan et soldats du commun jetèrent leurs épées et s’enfuirent.
On craignait dès lors qu’Asagai, capitale de l’Empire Zengghuo, ne subisse le même sort que Quangdo, car les deux fils de l’Empereur défunt, Yin Zi et Feng Juan, barrèrent les portes à l’approche d’Higashi et de son Bushidokan. Plutôt que de ployer le genou, les défenseurs d’Asagai mourraient jusqu’au dernier, promirent-ils, quand les émissaires Nippons parlementèrent avec eux. « Vous pouvez vous emparer d’Asagai, mais vous n’y obtiendrez que des os, du sang et des cendres », rétorqua Feng. Hélas, leurs soldats étaient moins pressés de mourir. Cette nuit-là, hissant un drapeau noir en signe de capitulation, ils ouvrirent les portes de la ville pour livrer le cadet, Yin Zi, l’aîné Feng Juan s’étant soustrait à ses ravisseurs cette nuit-là pour s’enfuir de la ville.
L’on raconte aujourd’hui que le Conquérant Nippon défit les chaînes qui entravèrent l’héritier de l’homme qu’il avait occit et lui offrit l’opportunité de rester en vie, à condition qu’il demeure pour le restant des jours qui lui sont alloués dans un temple et qu’il renie ses droits à la succession. « J’aime mieux l’honneur que la vie, et je préfère mourir que vivre en perdant ma dignité et en ayant bafoué la mémoire de mes ancêtres », rétorqua-t-il sur un ton qui n’invitait à aucunes répliques. Respectant la volonté du jeune homme, Higashi l’autorisa à se faire Seppuku.
Le couronnement
Le nouvel Empereur-Dragon Higashi, premier du nom, avait certes conquis l’Empire Zengghuo à vingt-cinq ans seulement, mais il devait à présent relever un redoutable défi : gouverner ce domaine nouvellement forgé et consolider son nouveau pouvoir.
VI - Hassling, le grand jeu oriental, la guerre patriotique (1519 - 1524)
En ces temps où l’intolérance religieuse est chose commune dans le monde, Hassling, véritable faisceau cosmopolite de religion et d’idéologies, fait figure d’exception et se distingue. Gouverné depuis Arkaelis, capitale de l’orient Selvyen, l’empire multiethnique d’Hassling demeure riche et puissant, bien qu’il ait en partie renié son héritage ancestral au profit de la valorisation des cultures qui lui sont étrangères situées sur et en dehors de son territoire. Depuis l’époque des premiers empereurs, la situation a effectivement changé : la lignée a désormais moins d’importance que les capacités et le talent, ce qui contribue à faire de l’empire une nation progressiste et « méritocrate ». Contrairement à son homologue occidental et malgré de multiples épreuves, l’Etat a maintenu un pouvoir stable ainsi que centralisé et un florissant commerce lui permettant de bénéficier de rentrées financières conséquentes qui l’a pourvu d’un puissant appareil militaire, justifié par la redoutable et constante menace qu’incarne deux voisins : les sultanats de Yûrai et de Ben-Ur.
Ce qui frappe au premier regard, en dépit de son immensité, en dépit de la puissance de sa flotte, c’est la variété des races et des climats qui partagent l’Empire Selvyen d'Hassling. De cette variété résulte l’absence d’un organe de gouvernement véritablement centralisé et une extraordinaire complexité dans la manière dont sont administrées les différentes possessions : Selvyens occidentaux, populations mêlées des steppes, Sarozaar de toutes sortes, Germains plus ou moins civilisés des Valesques, Temûriens tout à fait primitifs de la Stefiaar, les Hassling n’ont pas eu la folie de croire que le même régime convînt à tous ces peuples ; ils n’ont pas pensé non plus qu’il fût possible d’installer dès l’abord dans des territoires tout récemment acquis le même type d'autorité que dans des pays qu’ils possèdent depuis longtemps, les conditions de race et de climat fussent-elles semblables. A l'orée de sa fondation, consécutive à la colonisation des territoires achéens, en l'an de grâce 563, l'Impérium Selvyen d'Orient voulut en effet incarner un modèle à la fois unique et universel : une nation garantissant la liberté et la prospérité à ses citoyens, montrant le chemin au reste du genre humain. De fait, l'Etat ne vit jamais dans sa politique extérieure qu'un simple modus operandi au service de ce destin. Soucieux de ne pas mettre en danger l'unité dont il s'est échiné à maintenir, l'empire embrassa l'isolationnisme telle une panacée vers 644 tout en s'empressant de développer ses relations avec l'étranger et en proclamant son ascendant sur l'ensemble de l'Orient, refusant de trop s'empêtrer dans ces querelles occidentales dont il craint les conséquences autant qu'il en reconnaît les opportunités. l'Empire, à l'inverse, durant la première partie du dixième millénaire, s'évertua à accroître ses possessions à l'Est par tous les moyens à sa disposition - au prix fort de multiplier d'épuisantes guerres avec le sultanat de Yûrai. S'il parût évident que cet impérialisme agressif était tout-à-fait incompatible avec les idées des pères fondateurs de l'Imperium, et ce à plus forte raison puisque celui-ci est doté d'une telle puissance qui lui permit en effet de faire preuve de souplesse et de générosité, d'alléger le poids de sa domination envers ses protégés, « les royaumes-client situés à ses périphéries », et d'assurer ainsi à son hégémonie une forme de légitimité, l'Empire selvyen d'Hassling se révéla être une puissance expansionniste et extrêmement agressive.
La lourde défaite des armées selvyennes orientales à Karygstadt en 1412, contre les germains de la grande tribu des Vherundrur redistribua les cartes et bouscula l'ordre géopolitique, entérinant un nouvel équilibre ouvrant de fait vers une nouvelle période. En 1489, la paix de Trézilène signée par l'empereur Traegidius et le Sultan Shapur VII scella le sort des territoires à l'extrémité des marches septentrionales faisant office de délimitation des territoires Yûrai et Selvyen, et les partagea. Vingt ans plus tard, le refroidissement des relations avec l'Imperium selvyen d'Issling coincida avec la montée en puissance du Sultanat de Yûrai, qui reconfigura les rapports de force en Orient, marqués désormais par l'antagonisme entre deux superpuissances, Arkaelis et la Tixiana ghazide, qui luttent encore aujourd'hui pour l'hégémonie régionale mais doivent aussi composer avec la poussée spontanée d'envahisseurs - germains et barbares nomades venus du lointain pays de Temûr, qui menacent l'intégrité des deux nations. En conséquence, chacun des protagonistes dispersaient des énergies inestimables dans ces conflits sans fin qui les confrontent à des adversaires aussi divers qu'insaisissables contre lesquels il faut systématiquement s'adapter, tout en s'employant à renverser le statu quo géopolitique en leur faveur par rapport à l'autre. La difficulté étaitdonc pour les deux parties double : il faut constamment maintenir des réserves et ne jamais jeter l'ensemble de ses forces dans une bataille décisive.
Dans ce jeu étrange, l'Impérium Selvyen d'Hassling tissa des alliances avec les ennemis de son ennemi, garantissant de fait une fluctuation permanente des rapports de forces ainsi qu'une incertitude géostratégique que l'on pourrait presque qualifier d'endémique... Hélas, en 1519, le sultanat de Yûrai prit l'ascendant à partir de l'ascension au pouvoir de Nebuhadnissar IV. A la tête d’une nation à l’apogée de sa puissance, celle de Yûrai, le sultan nourrissait l’ambition de réécrire l’histoire du monde et d’imprimer à son peuple un nouvel âge d’or en envahissant les possessions orientales de l’Imperium Selvyen par un choc si brutal que celui-ci aurait entraîné sa déliquescence puis son anéantissement, mais les vents de la politique furent imprévisibles et ils vinrent brusquement changer d’orientation pour mener l’empire ghazide vers une phase décisive de son déclin que causèrent en partie l’émancipation du Spahaan, Arslan Erdin, qui fondit son propre royaume, le sultanat de Ben-hur, et surtout un élément inattendu. Contre toute attente, c’est une surprenante page de l’histoire qui va s’écrire, où un modeste prêcheur dont le sultan n’a jamais entendu parler et qui de fait ne représentait rien pour le « roi des rois » vécut un événement en apparence anodin, lequel se révélerait par la suite l’un des plus marquants dans ce recoin du monde : un homme, du nom de Daryan, communiqua à son peuple l’extraordinaire expérience spirituelle qu’il a vécu une décennie auparavant et fut contraint de quitter sa ville natale, Antalem, avec des milliers de guerriers convaincus de la justesse de la cause qu’ils ont embrassés et brûlant d'une foi inextinguible qui semblait décupler la puissance. Par le fil de l’épée et par la conviction de sa parole, ce prophète parmi les plus zélés unifia les peuples nomades d’origines Sarozaar du Désert du Rekdal et partit en guerre contre les sultanats de Yûrai, et de Ben-hur, emportant moult victoires avant de disparaître mystérieusement en 1514. Les exceptionnelles conditions dramatiques dans laquelle se déroula cette énième guerre entre l'Imperium et le Sultanat servit ainsi d'occasion à des individus d'exception pour changer la direction des événements en leur faveur. l'Impératrice Valéria était une femme de cette envergure et il est probable que si feu son pusillanime de père était resté au pouvoir, l'empire aurait durant ces années noires sombré et Nebuhadnissar triomphé malgré les offensives menés par les Daryani, avec les conséquences qu'un tel dénouement aurait entraîné sur le cours de l'Histoire. C'est précisément au moment même où tout semblait perdu que la jeune impératrice prit les mesures qui lui permirent d'inverser ce courant, en négociant une paix de compromis au prix d'un lourd tribut avec les Vherundrur multipliant les raids et assauts depuis près de vingt ans en Achaie, aux portes d'Arkaelis, afin de concentrer tous ses efforts contre les Sarozaar de Yûrai. Elle entama un ambitieux projet de réorganisation de fond en comble de l'Etat d'Hassling, de son économie, de son appareil militaire, subdivisant l'empire fédéral en une multitude de régions militairement autonomes, des « thèmes », se débarrassant d'encombrants mercenaires au profit d'une armée citoyenne. Outre le fait que l'Etat économisait de larges sommes précédemment allouées aux soldats professionnels, l'allocation de terres en échange des services militaires rendus aboutit à l'éclosion d'une nouvelle classe de paysans-soldats qui devint la colonne vertébrale des armées impériales en plus d'agir comme un puissant facteur de cohésion en ces heures sombres si propices à la désunion. La souplesse de la décentralisation militaire permit à l'Empire d'encaisser de gros échecs sans que l'ensemble de l'édifice ne s'effondre.
Ces réformes drastiques sauveront notamment Arkaelis du danger que couvre le Daryanisme. Ayant anticipé que les enjeux allaient au-delà de la confrontation immédiate avec les Sarozaar de Yûrai, voire de Ben-Hur, et que le soutien de son peuple, pluriel mais uni, était requit, à cet effet, l'Impératrice se lança elle-même dans ce que l'on pourrait considérer comme la plus grande croisade des temps modernes, exhortant son peuple à repousser l'envahisseur et à récupérer les territoires perdus. Sa campagne de propagande fut à tous points exemplaires et rapidement, l'empire substitua sa position défensive à une offensive à outrance. En 1519, le sultanat de Yûrai paraissait pourtant n'avoir jamais été aussi fort, atteignant son extension territoriale maximale, mais pourtant les vents de la politique tournèrent vers un nouvel acteur : le royaume de Daryan récemment constitué. A l'émergence des partisans du Daryanisme, rien en apparence aurait distingué ces nomades bédouins vivant dans ce désert inhospitalier du Rekdal des autres peuples nomades, Inrelith notamment, aux marches de l'extrême-occident. La culture bédouine prévalant par bien des aspects les peuples nomades des steppes, on y observait un peuple organisé autour de clans résolument fermés et jaloux de leur indépendance. Dans ce contexte, il aurait été fort difficile de concevoir qu'un de ces clans put rallier un peuple entier et s'unir de telle façon qu'il pourrait mettre en péril l'une des deux superpuissances orientales. Les Inrelith, jusque là, furent l'un des seuls peuples nomades ayant pu menacer l'existence d'un empire sédentaire mais leur fantastique épopée avait rapidement tourné court, et ce malgré leur puissance.
Présentement, en amont de ces réflexions, laisse voir se poindre une menace réelle où les Daryani, faisant fi de la perte de leur prophète qui aurait poser un frein à leur expansion, se montrent littéralement survoltées par leurs victoires contre des armées à qui d'innombrables légendes leur confèrent pourtant une réputation d'invincibilité. Ne craignant plus personne, convaincues qu'ils sont que leurs conquêtes n'expriment que la volonté de leur dieu, qui n'aspire qu'à unifier l'Orient pour enfin bâtir le Califat que leur a promit Daryan, les Daryani s'apprêtent à présent à bouleverser les données géopolitiques. Face à cette menace potentielle, alors que le monde se tient au bord du chaos généralisé, l'empire hésite sur la marche à suivre : faudrait-il intégrer ce peuple à la foi zélé à la vaste mosaique ethnico-religieuse qui le forme, comme il le fit à de nombreuses reprises, ou oeuvrer à sa destruction, étant entendu que la guerre face au Sultanat l'a affaibli et que le peuple, lassé de la guerre, ne souhaite qu'à vivre en paix ? De plus, Malgré l'échec avéré du projet de conquête entreprit par Nebuhadnissar et la sensible régression de la qualité de son armée, celle-ci maintient sa masse, assure encore à l'empire Ghazide une cohérence, une stabilité suffisante, et dispose d'une démographie dynamique afin de compenser les pertes récentes, quoiqu'il paraisse aujourd'hui évident que les revers et échecs militaires accumulés par le sultanat ont définitivement altéré l'éclat unique dont il avait autrefois brillé... Le lion blessé peut parfois mordre avec davantage de pugnacité, se plaisent à décrire les chroniques sarozaar.
Dernière édition par Templar le Sam 12 Mai - 0:23, édité 6 fois