Bua nó Bás
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Puisant sa source dans un univers de Dark Fantasy, Bua nó Bás est un jeu de rôle reposant sur des thématiques relatives aux vices de l'homme et à la géopolitique.

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descriptionVIII - Histoire, Huitième Période : Le Second Age EmptyVIII - Histoire, Huitième Période : Le Second Age

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2. Le Second Age (1445 – de nos jours)


I - L'élévation du Reyksavia


Les anciens chroniqueurs valysiens disaient vrai : au début du quinzième siècle, les Reyksaviens « grandissent en force ». Héritiers d’une ancienne civilisation industrielle qui s’est effondré dans des circonstances mystérieuses, ils avaient commencé à piller les terres slaves, comme, d’ailleurs, à se protéger des princes valysiens. Les chroniques anciennes, en effet, mentionnèrent que les Jarl versaient un tribut à Khalkingrad. Elles relatèrent également les nombreuses campagnes des terribles Tsars Vladislav, en 876, et de Iakov le Sage en 983. L’absence de détails concernant ces victoires semblerait indiquer l’absence de victoires elles-mêmes : guerriers astucieux et audacieux, vivant dans d’impénétrables cités-forteresses, les Reyksaviens défendirent avec succès leur archipel. Volontiers pillards, ils n’en demeuraient pas moins des pêcheurs et des chasseurs émérites. Cela Jusqu’au début du neuvième siècle, ils n’avaient ni villes ni organisation d’Etat au sens stricte, c’est-à-dire de force politique à caractère unificateur. L’arrivée des migrants teutons, les « Asbjorn », menés par le Roi-forgeron Stalkand, fut l’impulsion qui conféra aux derniers survivants d’une race divisée, épuisée par des guerres intestines, la force qui allait revitaliser leur civilisation décadente. Le métissage ainsi que le syncrétisme culturel qui résulta de l’immigration germanique donna naissance à un peuple nouveau en quête de sa propre grandeur. En 1345, le seigneur valysien, Arstov de Nezivie, en appela au ban, parce qu’il ne pouvait venir à bout lui-même de ces insulaires impies qui faisaient de leur athéisme une fierté. Installés sur le petit territoire offert par Arstov, à proximité de la Germanie orientale, les paladins qui formèrent l’ordre de Natura ne cessèrent d’organiser de terribles attaques en riposte des pillages commit par ces « hommes du nord », qui, ironiquement, contribuèrent à édifier un Etat fort dans l’Archipel septentrional en raison de leur brutalité.

La renaissance de la nation reyksavienne relevait de ces énigmes historiques que l’on croit parvenir à expliquer de multiples manières, sans pour autant épuiser ledit phénomène. Certains hommes de science calculèrent qu’à la fin de l’« obscure période », les populations qui peuplaient le Reyksavia étaient à peu égaux par le territoire et la population : près de deux millions d’âmes et un million neuf-cent mille kilomètres carrés, soit près d’un habitant par kilomètre carré. Un siècle plus tard, le Reyksavia devint un sérieux adversaire pour le tout-puissant Tsarat valysien, et un dangereux rival pour les projets coloniaux des empires occidentaux : les domaines de l’Empereur reyksavien s’étendirent dès lors de la Germanie du nord jusqu’aux terres extorquées au royaume gaélique de Vilkurix, vers ses côtes, lui donnant dès lors la mainmise sur tous les échanges commerciaux s’effectuant dans le triangle maritime qui était le sien. Peu nombreux, se taillant un empire à la force du glaive et par le négoce, les Reyksaviens firent exception dans un monde profondément ancré dans les traditions guerrières, lesquelles étaient regardés par tous comme les valeurs fondamentales qui le cimentaient.

L’apparition de l’ordre de Natura, ainsi qu’il a été spécifié, avait engendré un danger contre lequel les « Kriegsheer », les « Gautler » et les « Kurfust » unirent leurs forces. Entre 1345 et 1387, on comptait cinq grand raids contre les Gaels, et vingt-neuf contre les slaves. Dans les années suivantes, la proportion s’inversa : entre 1389 et 1416, on dénombrait vingt-trois razzias contre les Gaels et seulement deux contre les slaves. La raison fut évidente : les Naturiens devenaient de plus en plus forts, et les petits royaumes gaéliques, déchirées par des conflits internes, de plus en plus faibles. Ce fut d’ailleurs à cette époque qu’apparût un grand chef de guerre asbjorn du nom de Witikind, l’un des innombrables princes de l’archipel. En 1425, il s’empara de la riche cité de Volgorod, contribuant ainsi à décrédibiliser le Tsar Pereiaslavl, accusé d’avoir, par sa faiblesse autant que par sa couardise, déserté la ville injustement abandonnée à son sort. Obstiné et habile, il accrut ses possessions sur les côtes appartenant au Tsarat en décapitant l’ordre de Natura de ses chefs à la bataille de Zaivode en 1429. La chronique rapporta les événements sans fioritures particulières, mais de façon éloquente :

« Witikind était l’autocrate du Reyksavia… Régnant sur la terre reyksavienne, il tua ses frères et neveux, chassa les autres et se mit à gouverner seul… »

Les trente années suivantes de son règne furent consacrées à la consolidation de l’Etat reyksavien, à l’élargissement de son influence en Germania et de ses possessions en Britannia au détriment des royaumes indigènes, et au pillage ainsi qu’au rançonnage intensif des cités côtières valysiennes. Hélas, il mourût assassiné en 1460 par son neveu. S’ensuivit une longue période de troubles dans l’archipel, mais l’Etat instauré ne s’effondra jamais. L’un des éléments essentiels de cette consolidation fut l’adoption du principe de transmission de la couronne du père au fils, ou du frère aîné au cadet. A l’issue des terribles luttes de pouvoir qui fractionnèrent les îles, et à compter de la fin des années 1480 avec le sacre du Kriegsheer Traoren Tarnsgard, un obscur seigneur de guerre parvenu à s’élever par le fer et l’intrigue jusqu’au sommet du pouvoir, le Reyksavia devint un empire. Les contemporains de l’Empereur nordique s’accordèrent tous pour témoigner que, chargé d’une nombreuse famille, il voulut doter ses fils, ses filles, ainsi que ses petits-enfants, et qu’en conséquence, fit tout ce qui était en pouvoir pour constituer un empire colonial en Britannia. Sa mort en 1514 plongea l’archipel dans cinq années de trouble : le frère de l’empereur et ses sept fils morcelèrent les possessions reyksaviennes. Progressivement, les deux fils les plus capables, Franz et Harold, prirent le pouvoir en main. Chacun règne en bonne intelligence dans une dyarchie, se répartissant les tâches, la réalisation des ambitieux projets de conquête de l’île-continent de Britannia, et les capitales : Stradtford pour Franz, qui dirige la métropole, pendant que son jeune frère, Harold, administre l’empire colonial depuis Kallstrom.


II - La colonisation des îles de l’Archipel de Britannia


A la première moitié du XVe siècle, les premiers colons occidentaux et septentrionaux prirent pied en Britannia et furent accueillis sans hostilité par la plupart des autochtones. Ces relations, harmonieuses au demeurant, étaient vitales pour les colons qui, sans l’aide des indigènes, n’auraient pu survivre dans cette terre étrangère. Grâce aux indications de leurs hôtes, ils purent découvrir les céréales locales et la meilleure façon de les cultiver, ainsi que les emplacements les plus propices à la chasse et à la pêche. En retour, les colons enseignèrent aux indigènes les techniques de la métallurgie, de la sidérurgie, et leur donnèrent nombre d’animaux de trait et de guerre, qui furent ainsi réintroduits dans les îles. L’usage de ces bêtes de trait permit aux Gaels de voyager et de pratiquer le commerce sur de plus grandes distances. En dépit de leurs particularismes, ces tribus indigènes insulaires avaient en commun certaines coutumes et pratiques qui jetèrent les fondements d’une première société Britannienne. Au sein de chaque tribus, la famille constituait la valeur, mais guerre et croyances revêtaient également une grande importance. Les conflits territoriaux rendaient nécessaire la valorisation des chasseurs et des guerriers, de sorte que, dans nombre de communautés indigènes, les jeunes hommes recevaient une initiation visant à leur insuffler du courage et à les préparer au combat. La plupart de ces tribus avaient recours à des danses pour invoquer les esprits et obtenir leur protection avant d’attaquer l’ennemi, et toutes ou presques étaient menées par un chef unique auréolé d’un pouvoir spirituel fort.  Dans certaines tribus, notamment chez les Kelion, ce monarque recevait l’assistance des guerriers et des sages les plus influents régulièrement réunis en conseil. Partout, la femme avait pour rôle essentiel d’assurer la descendance et de s’occuper des enfants, mais elle effectuait également diverses tâches nécessaires à la vie du campement. A l’exception de certaines tribus, les tribus Gaels étaient régies par un pouvoir patriarcal.

Hélas, les colons apportèrent également avec eux des maladies contre lesquelles les indigènes n’étaient pas immunisés et qui décimèrent leurs populations. Rapidement, les relations entre colons et autochtones s’envenimèrent, souvent du fait des usurpations territoriales et des abus de confiance pratiqués par ces derniers. Lorsque les colonies selvyennes affrontèrent les colonies germaniques afin d’accroître leurs emprises respectives sur les îles, de nombreuses tribus se trouvèrent divisées, à l’exemple des Alturii, qui s’allièrent pour certains aux Selvyens, et pour d’autres, d’ors et déjà germanisés, aux colons Teutons.

La résistance généralisée à l’avancée des colons nordiques et occidentaux donna naissance aux « guerres indigènes », qui durèrent pendant des décennies et trouvèrent leur conclusion en 1520 par l’annihilation de la plupart des forces impériales et la mise à mort des derniers grands chefs des tribus. Dès lors, la plupart des tribus indigènes furent cantonnées au sein de réserves souvent éloignées de leurs îles d’origines.


III - La conquête des Royaumes intérieurs


Durant les premières années qui succédèrent à l’installation des comptoirs commerciaux sur les côtes-est de Britannia en 1476, Haakon Skjorinson, explorateur émérite, explora les terres de cette mystérieuse île-continent. Ses successeurs, de même que les nombreux colons Teutons qui s’y installèrent, poussèrent les deux empires selvyens à se ruer sur ces vastes étendues qui appartenaient aux peuples gaels, lesquels se montrèrent farouchement hostiles à la présence de ces étrangers. Jusqu’en 1500, l’exploration asbjorn se limita ainsi aux îles situées à proximité de Germania, et les tentatives de colonisation se soldèrent par des échecs ; l’économie locale était d’une part insuffisante pour permettre une installation permanente des colons, et d’autre part, les conflits incessants avec les autochtones, qu’aggravait la brutalité des colonisateurs germaniques pour affirmer leur autorité sur leurs nouveaux sujets, rendirent peu rentable l’exploitation de ces territoires récemment conquis. En effet, les colons germaniques enrôlaient, souvent de force, les indigènes pour l’exploitation des mines et des domaines agricoles. Les dures conditions de travail ainsi que les maladies apportées par les étrangers entamèrent une saignée démographique, de sorte que les administrations coloniales Selvyennes et germaniques furent confrontées à une pénurie de main d’œuvre et contraintes à se tourner vers l’intérieur des terres, lesquelles appartenaient aux trois Royaumes de Faselione, Vilkurix et Lipnadd, berceaux de trois civilisations originales. A l'exception du royaume de Lipnadd, qui demeure indépendant, ces royautés, respectivement annexés en 1506 et en 1512, ont été conquis par les armes et les alliances subsidiaires et matrimoniales.

Les Faseliones régnèrent sur la partie méridionale de Britannia, jusqu’à leur rencontre infortunée avec les Reyksaviens. Née le long de la vallée de Brigatoa, la civilisation Faselione établit sa domination en l’espace d’un siècle seulement, sur un territoire comprenant, outre les côtes-est, de larges domaines d’Astasa, de Cylis et de Kjavik. La société reposait sur une institution impériale investie d’une autorité totale, le mot « Faselione » signifiant Empereur. Avant cette apogée, les Faseliones avaient formé une des nombreuses tribus occupant le sud de l’Ile-Continent, et c’était sous la conduite des trois empereurs, Acatée, Alkein et Velnyr, qu’ils entreprirent une politique d’expansion et de conquête qui les mena loin de leurs contrées. Afin d’administrer efficacement leur immense territoire, les Faseliones développèrent un système de gouvernement très hiérarchisé. L’empereur, ou Faselione, transmettait ses ordres à quatre gouvernements provinciaux, chacun dirigé par un membre de la famille impériale. A leur tour, ces nobles déléguaient leur autorité à des administrateurs dont la fonction essentielle consistait à maintenir l’ordre et de s’assurer de la productivité des terres. Le rang le plus bas de cette société était occupé par les paysans et les travailleurs des mines, et chaque communauté d’environ dix familles était tenue de s’acquitter d’un impôt impérial, perçu par lesdits administrateurs. Les pauvres étaient également tenus d’assurer les travaux d’intérêt général, dont la construction de ponts, et de rejoindre, en cas de besoin, les armées impériales. En retour, ils recevaient le soutien de l’Etat lorsqu’ils étaient empêchés de travailler par l’âge ou la maladie, et avaient accès à des denrées lorsque les récoltes s’avéraient insuffisantes. La civilisation Faselione était donc essentiellement agricole. Elle transforma son environnement montagneux par l’aménagement de terrasses qui permettaient d’accroître la superficie des surfaces cultivables. Habiles artisans, quoiqu’ils ne pouvaient égaler les Asbjorn dans l’art de la métallurgie et de la sidérurgie, ils excellaient dans le travail des métaux, se targuaient même d’avoir pu accomplir des prouesses architecturales. On leur attribuait également de solides connaissances médicales, lesquelles leur permettaient de pratiquer des trépanations.

Les Vilkurix étaient, quant à eux, le peuple le plus puissant de toutes les Iles de Britannia. Durant trois cent ans, leur hégémonie était incontestable. Formé par l’union de plusieurs tribus venues du septentrion, le royaume Vilkurix établit une première cité sur un ensemble d’îlots marécageux du lac de Eyate, fondant une colonie qui donna plus tard son nom au Royaume éponyme. Par l’assèchement des marécages et la construction d’avenues, de canaux et d’îles artificielles, les Vilkuriens firent de leur cité-mère la ville la plus peuplée de l’Archipel de Britannia. Forts de leur unité, ils donnèrent bientôt libre-cours à leur soif de conquête et soumirent les peuples voisins tantôt par des manœuvres politiques, tantôt par les armes. Ils appliquèrent ces deux méthodes avec zèle et devinrent très rapidement les maîtres du Nord Britannien, collectant tributs, denrées, otages et esclaves auprès d’une multitude d’Etats vassaux. Les Vilkuriens affirmèrent de fait leur autorité de manière despotique et brutale : le non-paiement de l’impôt par tel ou tel Etat provoquait une réaction immédiate de leurs armées. Ces ripostes guerrières, souvent excessivement brutales, étant considérées comme nécessaires afin d’assurer le bon entraînement des soldats, de sorte qu’ils n’hésitaient pas à attaquer tel ou tel Etat jugé récalcitrant ou de loyauté incertaine. Leur pratique de la guerre était également unique. Plutôt que de s’organiser en unités destinées à exterminer leurs adversaires, les combattants Vilkuriens livraient des combats individuels et s’efforçaient de capturer leurs ennemis, espérant livrer ces derniers à leurs dieux lors des rites sacrificiels. Un guerrier Vilkurien ne pouvait ainsi cueillir les honneurs qu’après la capture de trois combattants. Il lui était également interdit de se couper les cheveux avant d’avoir atteint cet objectif, de sorte que le port d’une longue chevelure était un motif de honte.  En dépit de leur cruauté apparente, illustrée par la pratique des rites sacrificiels, les Vilkurix ont édifié une civilisation riche et complexe. Leur société était divisée en trois classes principales formées par les nobles, les marchands et les paysans. Prêtres, généraux et administrateurs étant issu de la noblesse, tandis que la classe paysanne fournissait les travailleurs de la terre, les ouvriers et les soldats. Il existait en effet des esclaves, mais leurs conditions étaient comparativement moins rudes à celles de leurs homologues en Orient : ils étaient certes vendus et achetés comme du bétail mais ils ne naissaient pas esclaves et pouvaient revendiquer leur liberté après un certain temps passé au service de leur maître. Quant aux hommes libres, à l’âge de quinze ans, les Vilkurix de sexe masculin étaient formés selon un apprentissage formel incluant l’apprentissage des rituels religieux, de l’histoire de leur peuple et du maniement des armes de la magie. Outre de nombreux temples dédiés aux cultes religieux, les cités Vilkurix englobaient divers lieux d’enseignement et plusieurs places vouées au commerce où s’échangeaient objets usuels et denrées. La plupart des cités étaient divisées en trois zones distinctes et organisées autour d’un vaste temple central qui accueillait également les jeunes mages. Habiles constructeurs, les Vilkurix usèrent de leurs connaissances pour établir des systèmes d’évacuation des eaux usées et doter chaque habitation de latrines,  érigeant également de vastes aqueducs qui alimentaient les cités en eau fraîche. La pratique des sacrifices humains était ancrée dans la société Vilkurix. D’origines religieuses, ceux-ci revêtirent rapidement une utilité politique, car ils concouraient au maintien de l’ordre civil. L’âge et le sexe des victimes variaient en fonction de la divinité à laquelle le sacrifice était destiné – il pouvait s’agir de jeunes filles, de prisonniers, d’hommes vigoureux ou d’infirmes – et la mort était infligée selon diverses méthodes par les mains des grands prêtres. A Vilkurix fut même construit des édifices composées des crânes et ossements des victimes, lesquels étaient ainsi exposés à seule fin d’honorer les dieux et consolider l’autorité des nobles. Lors des grands festins annuels où la chair desdits victimes était aussitôt consommée, ces sacrifices prenaient des proportions gigantesques. Certains seigneurs de guerre germaniques, « les Kriegsheer », décrivirent l’exécution de plusieurs milliers d’hommes et de femmes en quelques jours, mais ces chiffres étaient probablement exagérés à des fins politiques. On peut cela dit estimer à plusieurs centaines le nombre de sacrifiés lors de ces cérémonies sanguinaires, et à près de trente mille celui des victimes au cours d’une seule année durant l’histoire du royaume Vilkurix.

Isolé, le royaume de Lipnadd a toujours su se tenir à l’écart des dominations étrangères qu’avaient connues les royaumes de Vilkurix et de Faselione. Tout Au plus devait-il tolérer, dans les ports de la côte orientale, quelques colonies de marchands d’origines Asbjorn que l’on appelait « les Ostmen », autrement dit « les Orientaux », dont la présence stimulait l’économie locale. La capitale de ce Royaume se nommait Oswall, en relations commerciales avec tous les pays Reyksaviens et les seigneuries féodales Valysiennes. Lippnad n’en avait pas fait pour autant son unité. Un très théorique « roi supérieur » étendait sur les deux tiers de l’île une suzeraineté que quatre autres rois ne reconnaissaient qu’à la condition de n’en faire aucun cas. Le tiers septentrional, dépeuplé, n’avait même pas de chef. Partout, la réalité du pouvoir résidait dans les mains de quelque cent quatre-vingt-cinq roitelets. La confusion politique se doublait d’une absence de hiérarchie religieuse qui traduisait la faiblesse de l’imprégnation nordique dans la population. Quelques prêtres aux sièges longtemps changeants ne formaient pas une structure territoriale et la prééminence de l’archiprêtre demeurait purement nominale. Les temples étaient les principaux foyers de vie religieuse, mais ils n’étaient que les pâles héritiers des grands centres de rayonnement intellectuel des siècles passés.


IV - L’essor du Tsarat Valysien (1400 - 1510)


Depuis longtemps déjà, les historiens océaniens ont pris l’habitude, certes très controversée, de distinguer les bons et les mauvais siècles, selon qu’ils connurent des conjonctures plus ou moins favorables. Ainsi, depuis une cinquantaine d’années, l’expression de « Beau siècle », forgée par les intellectuels valysiens, s’est-elle imposée dans les cours. En effet, à la vue de nombreux indicateurs chiffrés, le siècle valysien fut incontestablement une période de prospérité dans le Tsarat : population, productions et échanges ont connu des accroissements qui témoignèrent d’un dynamisme certain.

Dans le domaine de la démographie, les chiffres sont éloquents. Décimée par les persécutions germaniques, par les guerres du Nord (1123 – 1380) et les épidémies, la population du Tsarat n’alignait que vingt millions d’âmes dans les années 1430. Près d'un siècle plus tard, la population ne comptait pas moins de soixante millions d’habitants. Cette croissance s’expliquerait par de multiples facteurs tels que le recul de la mortalité dû à l’espacement des grandes épidémies et l’abaissement de l’âge au mariage qui entraînait un accroissement de la natalité. Le dynamisme démographique était donc incontestable et frappera d’ailleurs les Seigneurs Valysiens. La production agricole, si importante dans une économie essentiellement terrienne, connût elle-aussi un indéniable développement. Bénéficiant d’un climat clément, l’agriculture fit des progrès comme le témoignait l’extension des labours et les entreprises de déforestation. Pour l’essentiel, les progrès concernèrent les cultures vivrières qui permirent un recul des disettes. La production manufacturière prospéra également. Elle concerna tout d’abord des secteurs anciens mais revitalisés. Le textile tout d’abord où, au développement de la production courante, s’ajouta l’extension d’une industrie naissante. La soierie progressa et vit sa production se concentrer dans les grands centres économiques. Soutenue par la découverte de nouvelles méthodes, la métallurgie connût une croissance encore plus nette. Sur les dix mille forges que comptait l’Empire du Tsar, trois mille furent crées durant le règne de Vassilli III. Enfin, l’imprimerie, introduite depuis les années 1450, se développa avec une rapidité confondant. De tous ces accroissements résultèrent une intensification des échanges et un essor du commerce. A l’intérieur des territoires féodaux, celui-ci progressa, stimulée par la croissance des villes, qui réclamaient un ravitaillement à la mesure de ses exigences croissantes, et les industries demandeuses de matières premières. Croissance démographique et croissance économique contribuèrent ainsi à l’avènement d’une période de prospérité couvrant une partie au moins des années 1500. Etabli, le dynamisme du XV° siècle Valysien relevait de l’action de l’action conjointe d’un ensemble de facteurs où il faut distinguer causes internes et externes. Tout d’abord, la prospérité du Tsarat s’inscrivit dans une conjoncture internationale plus que favorable. Avec la fin des Guerres du Nord et la relative pacification du Sultanat de Yûrai et la destruction de la confédération Temûrienne, l’Orient inaugura une période de stabilité. Certes, par leur razzias, les Teutons ne manqueront pas d’ardeur guerrière mais, pour l’essentiel, les conflits épargneront le territoire impérial intérieur.

A cette accalmie, il fallut s’ajouter les retombées économiques des découvertes reyksaviennes. Si les Valysiens n’occupèrent qu’un rôle mineur, le Tsarat en tira les bénéfices, précisément à partir des années 1490, l’Etat ayant bénéficié d'un afflux d’esclaves corvéables à souhait et de métaux précieux qui provoquèrent d’une part un abaissement du coût de la main d’œuvre ainsi qu’une inflation généralisée qui stimula l’activité économique en incitant les grands propriétaires à vendre, produire et investir, d’autre part. Ces causes externes, qui occupèrent bien évidemment un rôle non-négligeable, ne firent que renforcer un dynamisme interne et plus anciens qui puisait à plusieurs sources anciennes. Le renforcement de l’Etat, accélérée par la Tsarine Antonina, ne fut pas dépourvu de conséquences sur l’économie. Parallèlement à l’augmentation de ses besoins, la monarchie s’intéressait désormais à l’activité économique où l’on vit apparaître un embryon de politique planifiée. L’impact de la croissance démographique citée ci-dessus fut plus déterminant encore. En effet, l’augmentation de la population s’était traduite par une augmentation des producteurs aussi bien dans les espaces ruraux que dans les espaces urbains. Il aboutit également à une augmentation de la consommation qui stimula les secteurs liés à l’agriculture, lesquels purent bénéficier et de la remise en culture des terres et des campagnes de défrichage. Cet accroissement de la demande, générateur de marchés, favorisa l’extension de la lettre de change qui offrit aux négociants un nouveau moyen de paiement. Ceux-ci profitèrent aussi de l’élargissement du crédit. Dans les grandes villes industrielles et commerçantes de nouveaux entrepreneurs apparurent : les Iazaroi, métisses nés de l'union entre valysiens et slaves. Cette prospérité puisa donc dans une vitalité interne stimulée par la monarchie et résultant d’une croissance démographique due à la fin des calamités.  

Cela dit, si ce tableau ainsi peint paraît flatteur, il conviendrait cependant d’y apporter de sérieuses nuances.

En premier lieu, force était de constater que les mouvements de l’économie ne suivaient pas un rythme séculaire. De fait, la croissance économique débuta bien avant 1500. Démographie et productions s’envolèrent, en effet, mais à partir de 1520, la croissance agricole marquait un net essoufflement. Cette prospérité était en fait un rattrapage plus qu’un décollage. Le dynamisme se heurtant à l’inertie d’une structure féodale excessivement rigide et aux freins qu’imposèrent le servage et les lois racistes à l’endroit du peuple Slave, les conditions d’une « Révolution sociale et économique » furent incomplètes. Dans l’agriculture, qui plus est, les progrès étaient moins qualitatifs que quantitatifs. Les techniques de cultures ne connurent guère d’innovation et les rendements plafonnèrent à un niveau atteint depuis le premier millénaire. Ainsi la croissance agricole s’était effectuée surtout par la reconquête d’un domaine cultivable abandonnée lors des hécatombes des siècles précédents. Cette reconquête achevée, la production de denrées alimentaires stagna et réfréna la croissance démographique. A partir des années 1510, le Tsarat était de nouveau un « monde plein » dans lequel se maintint difficilement un fragile équilibre entre ressources alimentaires et niveau de population. Dans l’industrie, le développement de quelques secteurs modernes ne remit pas en cause l’écrasante prépondérance du petit artisanat traditionnel. Seul le commerce vit poindre de nouvelles structures porteuses d’avenir.

Enfin, la prospérité du Tsarat connût de sérieuses limites sociales car cette croissance ne profita bien évidemment point à tous les groupes sociaux. Les Iazaroi étant traités comme des sujets intermédiaires à qui échurent les basses tâches telles que le commerce et l’industrie, les Slaves comme des serfs tous juste capable d’offrir une main d’œuvre docile, et les Valysiens comme une race de seigneurs investie d’une autorité absolue et incontestable, cette société régie par une profonde inégalité et génératrice de tensions parût de prime abord inapte à constituer les structures susceptibles de maintenir cette croissance et d’exploiter les richesses contenues sur le sol du Tsarat. L’inflation enrichit les seigneurs car elle était bénéfique à tous ceux qui possèdent des terres. Dans les bas-fonds de l’échelle sociale, la multitude de petits paysans, vivant dans une précaire autosubsistance, et surtout salariés des campagnes et des villes, dont les salaires ne suivent pas cette inflation, subissent une forte dégradation de leur situation. Ainsi l’essor du Tsarat s’accompagnait également d’une hausse de la pauvreté.

L’image d’un « Beau siècle Valysien » demeure ainsi une image qui ne traduit pas une réalité plus complexe : la prospérité tend à s’éteindre, et la conquête semble être le seul choix possible afin de contenir les débordements d’une société en proie à une tension allant croissante !


V - La guerre d’Arashi (1520 – 1528)


Pour saisir les tenants et aboutissants de la guerre d’Arashi, il convient tout d’abord de démêler les fils qui constituent sa trame.

Depuis toujours, le Dai Yamato était l’un de ces Etats de moyenne importance situés à la périphérie de l’Empire Zengghuo et entretenait avec celui-ci des relations marquées par sa soumission humiliante à son égard. En effet, Wun Zei,  l’Empereur-dragon, qui se prétendait descendant des Anciens Dieux, se considérait comme l’essence matérialisée sur terre de Tza’haang, le Dieu de la nature, et méprisait par conséquent tous les peuples d’orient qui n’intégraient pas la masse ô combien vaste de ses serviles sujets. En 1488, cependant, le Dai Yamato avait étendu son influence sur de nombreuses îles et archipels méridionales, et de ce fait, s’était trouvé en porte-à-faux avec son éminence impériale.

La guerre de Takuni (1502 – 1506)

A cette période, la menace d’une invasion Zeng Hi se précisait. Aux débuts du XVI° siècle, l’extrême-orient avait été conquis par l’Empereur depuis les steppes d’Altai jusqu’aux denses forêts méridionales de Yi’Kur. Celui-ci porta rapidement un intérêt particulier au Dai Yamato, envoyant par l’intermédiaire des Temûriens des lettres officielles sollicitant l’ouverture de relations diplomatiques amicales, lesquelles étaient cela dit assorties d’une formule menaçante : « Il nous déplairait d’avoir à user de la force ». Le vieil Empereur Nippon, Torune, se montra intraitable, au dam du monarque Zeng Hi qui proclama aussitôt son intention de s’emparer et des Iles sous domination Nippones et du Dai Yamato lui-même. Aidés d’auxiliaires Temûriens et Sum’n’Kur, les Zeng Hi débarquèrent sur les côtes de Haizen en 1502. Les combats ne durèrent qu’une journée mais furent d’une violence inouie : les assaillants utilisaient des flèches empoisonnées et des sortes de bombes explosives qui produisaient un bruit assourdissant. Surpris par les techniques de guerre peu conventionnelles employées par les Zeng Hi, les guerriers Nippons étaient désorientés lors des premiers affrontements. Les Zeng Hi prirent rapidement l’avantage mais, au soir, une tempête se leva et les contraignit à rembarquer. En 1506, les envahisseurs Zeng Hi lancèrent une seconde campagne en réunissant plusieurs dizaines de milliers d’hommes, certains chroniqueurs alignant même le nombre de deux cent mille hommes. De leur côté, les Nippons avaient fortifié les côtes nord-ouest de l’île d’Haizen. Comme en 1502, les Zeng Hi dévastèrent les îles nippones au large, Taikazan payant un lourd tribut en vies humaines. Les Zeng Hi débarquèrent donc, mais cette fois-ci, les samourais avaient pris la mesure de leurs adversaires en bâtissant des murets et en levant des pieux, empêchant la cavalerie Zeng Hi de sinistre réputation de se déployer et de fondre sur eux. A l'issue d’une semaine de combats acharnés, les envahisseurs continentaux ne parvinrent qu’à établir une petite tête de pont qu’ils finissent d’ailleurs par abandonner pour se replier sur les îlots conquis afin de reprendre leur souffle. C’est alors que pour la seconde fois, la tempête déferla. L’armada Zeng Hi fut dispersée, coulée, brisée. Les trente mille rescapés Zeng Hi, Temûriens et Sum’n’Kur, acculés sur les îles et sans espoir de reprendre la mer, furent passés au fil de l’épée. L’expédition fut un fiasco. Miraculés, les Nippons considérèrent cet ouragan comme une manifestation de la providence, convainquant ces derniers du caractère sacré et inviolable de leur patrie.

Durant cette épreuve, les dirigeants du Dai Yamato ont révélé sang-froid et fermeté. Si la victoire  sur les continentaux leur appartint en premier lieu, elle était aussi celle des guerriers dont la majorité provenait des provinces occidentales, vassaux hommes-liges ou non. Puis secondairement, c’était aussi la victoire de la cour de Taishima qui avait commandé des prières pour la prospérité du pays, et enfin des sanctuaires qui ont su convaincre les divinités du pays d’intervenir sous la forme de vents divins par deux fois contre l’envahisseur. Non seulement, les dirigeants, Torune en tête, ont su mobiliser l’énergie combattante des guerriers du Dai Yamato, mais ils ont aussi su tirer avantages d’une situation urgente. Les guerres Zeng Hi permirent à l’Empereur d’étendre considérablement son autorité dans l’ouest du pays, en ordonnant aux gouverneurs de mobiliser tous les guerriers de leurs provinces, y compris ceux qui ne seraient pas les vassaux directs de son éminence. Le pouvoir impérial prit dès lors une dimension nationale.

Hélas, les anciennes castes militaires des « Bushi » sortirent de cette épreuve insatisfaites et d’humeur turbulente. Pendant les mois et les années passées hors de leur domaine pour organiser la défense du pays, nombreux ont été les seigneurs qui se sont appauvris ; ceux-ci déplorèrent l’absence de butin à partager. Leur ancien idéal d’indépendance et de puissance, déjà fort ébranlé, fut contrarié. A présent, il convenait d’employer ce mécontentement général à des fins opportunistes.

Durant les années suivantes, avec la mort de l’Empereur Torune et  l’arrivée au pouvoir du Régent Yûsuke, d’abord précepteur du jeune prince Higashi, l’Etat du Dai Yamato avait connu des transformations internes avec le développement du commerce et la mise en valeur des mines d’argent et de fer qui donnèrent un caractère nouveau au pouvoir du monarque Nippon, un pouvoir reposant désormais sur une armée remarquablement équipée et entraînée grâce aux subsides qui lui étaient consacrés. Certes, il devait toujours prendre en considération l’accord de cette dernière pour la reconnaissance de sa légitimité, mais il avait tendance à mener sa propre politique qui allait très vite l’opposer aux Etats-cités fortifiés du Nord ; les mêmes cités qui, depuis les guerres pour assurer la défense du pays, ont combattu afin de garantir l’indépendance  du Dai Yamato. Une courte guerre éclata, laquelle vit Yûsuke triompher de cette fronde menée par les Princes rebelles. Celui-ci, au lieu de pousser son avantage, opta pour une convocation des représentants des communautés Nippones – cités et Etats fédéraux – à Jizen pour établir avec eux une alliance que l’on nomme aujourd’hui Jīzenrīgu, « la Ligue de Jizen ». De cette alliance, Yûsuke en fut l’Hégémon, c’est-à-dire, le maître incontesté, tout en étant épaulé et surveillé par un conseil des alliés. En cela, le Régent s’inspirait du modèle des alliances qu’édifièrent les Etats-cités Nippones des temps antiques. Yûsuke s’assigna donc pour tâche de donner à cette alliance l’objectif de porter la guerre contre l’Empire Zengghuo pour, dit-on, laver l’honneur impérial d’une part, et de libérer les cités Nippones assujetties à l’autorité de l’Empereur Zeng Hi, d’autre part. L’intention proclamée d’émanciper les Nippons continentaux permit ainsi au Régent d’intégrer le Yatai, l’organisation composée des représentants des plus puissantes principautés administrant le sanctuaire du Dieu Yesudai, et d’agir de fait en tant que dirigeant de l’ensemble du Dai Yamato. Les opérations débutèrent donc en 1518 sur les côtes nord de Zengghuo par un débarquement conséquent, mais la mort soudaine du Régent entraîna un retard dans le développement de cette campagne. Pour faire reconnaître son autorité, le Prince Higashi dut rétablir l’ordre dans son royaume puis régler le problème que posait la cité d’Hyaga, laquelle avait participé aux luttes face au Régent Yûsuke, en la châtiant avec une rare sévérité. Ce fut après avoir affirmé son autorité que le jeune empereur songea à reprendre les opérations militaires en Extrême-orient.

Ce qui devait être une opération limitée allait très vite prendre une toute autre dimension. Empereur d’un Dai Yamato qui ne rêvait qu’à s’étendre, Higashi, dont l’éducation avait joué un rôle décisif dans ses succès ultérieurs, était un homme d’une grande intuition pratique. Sans émettre le désir de faire de lui un héros moderne ou visionnaire, il fallut reconnaître que ce jeune prince voyait haut et loin. Ainsi, il considérait, et la véracité de cette intention fut corroborée par des faits concrets, que l’Empire Zengghuo était l’étape charnière à la conquête… du Tsarat Valysien, prédisant qu’un jour celui-ci dominerait le monde. Incontestablement, son projet était visionnaire. Il n’avait cela dit rien à voir avec les soudards qui conquirent les îles méridionales, et à l'instar des lointains empereurs germaniques, était mû par une vision d’unité par la réconciliation.

Tout commença par la bataille de Kwei Yû, qui vit l’écrasante victoire des Bushidokan face aux armées menées par les stratèges Zeng Hi. Prenant possession du petit pays de Lao’zeitang, il reçut en cadeau vingt jeunes femmes, dont l'une d'elle, Mei Zhao, pour qui la grâce, disaient non sans emphase les chroniqueurs, « n’avait d’égale que sa lucidité », avait séduit le jeune empereur. Higashi en fit sa maîtresse, son interprète et un conseiller politique d’une valeur inouie ; elle fut renommée Yuki. Puis, à l’intérieur des territoires qu’il avait conquis, Higashi fut visité par les ambassadeurs de l’Empereur-Dragon, ceux-ci ayant pour mission de le convaincre de rentrer chez lui et pour ce faire le comblèrent de fabuleux présents, qui, ironiquement, excitèrent la cupidité des samourai au lieu de la satisfaire, qui étaient à présent persuadés que l’ambitieuse entreprise du jeune empereur ferait d’eux des hommes riches et puissants. Higashi traita les Zeng Hi avec la plus grande courtoisie, et les fit assister à une démonstration de force des samourais, avant de leur dire qu’il souhaitait affronter en duel leur empereur. C’est alors que le visitèrent les envoyés du seigneur de Yaanxi, une province tributaire de l’empire. Ils lui proposèrent une alliance contre le gouvernement central, Yuki, sa maîtresse, lui ayant déjà expliqué que bien des sujets de l’Empereur-Dragon le craignaient, le haissaient et souffraient impatiemment le joug. Cette confirmation l’incita à se rendre à Yaanxi et à renforcer son armée composée de quarante mille hommes de vastes contingents locaux. Les chroniqueurs Nippons narrèrent avec précision la manière avec laquelle le seigneur des lieux, « avec force larmes et soupirs, lui dit comment les Zeng Hi les tenaient soumis, et chaque année exigeaient de leur livrer de nombreux fils de filles pour les destiner à une vie servile dans les maisons, les champs, les mines, et il présenta tant de plaintes que nous n’en souvînmes plus ».

Higashi se mit donc en marche vers Yûshuan, car le seigneur de Yaanxi lui avait conté la guerre entre les guerriers de ce pays et les armées impériales : une alliance devait être possible, confirma Yuki. Une série de durs combats opposa Higashi à ses futurs alliés, mais la haine de ces derniers étant plus vive que la crainte provoquée par la venue du Nippon, le seigneur opta pour une alliance. Higashi les convainc que l’heure de la libération arrivait avec lui, se gardant d’apparaître comme un conquérant uniquement obsédé par l’appât des richesses de ce pays. Il entendit prouver, au contraire de l’occupation Zeng Hi du Dai Yamato qui avait laissé de très mauvais souvenirs, qu’il était respectueux des coutumes des locaux. Epaulé par deux solides alliés, le jeune Empereur Higashi, âgé de vingt-deux ans, débuta l’Invasion de l’empire Zengghuo.

Les batailles se déroulèrent ensuite dans les reliefs escarpés du Wuunxi. L’empereur-Dragon, confiant en ses forces, sa puissance et son expérience, défia son adversaire Nippon, gageant sur une victoire rapide qui aurait tôt fait d’affirmer, sinon renforcer, son prestige. Hélas, son arrogance, ou, ainsi que le décrivirent ses contemporains à postériori, son manque de « lucidité », le conduisit à affronter l’ensemble des armées adverses afin de les anéantir toutes, son écrasante supériorité numérique ainsi que les compétences martiales des seigneurs-dragons Temûriens récemment gagnés à sa cause devant lui assurer une mainmise dans le combat à venir. Hélas, la combativité des Nippons et l’originalité des tactiques qu’employèrent ces derniers fit basculer le rapport de force en leur faveur. Ce fut « La débâcle de Wuunxi » durant laquelle, trois cent mille soldats Zeng Hi furent encerclés puis annihilés. Aussi vrai que périt la majorité des soldats mobilisés durant la bataille, le prestige et l’honneur de l’Empereur Zeng Hi, qui avait fui pendant la bataille, en ressortirent exsangue et l’éclat dont il avait autrefois brillé en fut irrémédiablement ternit.

Les Nippons et leurs alliés exultèrent d’avoir laver l’opprobre qui souillait leur honneur et celui de leurs ancêtres. Comme enhardis par cette victoire, une frénésie démente s’empara de leurs rangs, laquelle fut  la principale raison qui aurait expliqué les tenants et aboutissants du triste épisode du sac de la richissime cité de Quangdo, principauté ayant l’audace de résister au conquérant en affirmant sa loyauté à Wun Zei, l’Empereur-Dragon. Considéré tel un libérateur parmi les populations oppressées, l’éclat dont il brillait fut terni par le sang versé ce jour-là, et par là-même, le respect qu’il inspirait se teinta d’une crainte froide.

Face à son pire ennemi, l’Empereur-dragon, craignant de perdre le soutien des « Jûfan », prit une décision téméraire : jeter son va-tout dans une bataille incertaine afin de forcer l’étau constitué par les troupes Nippones, en misant sur la répulsion que provoqua le sac de Quangdo et avant tout sur son titre d’Empereur pour fédérer ses alliés face à l’ennemi. La bataille qui s’ensuivit fut digne des légendes antiques. Coutumier des combats, Wun Zei voulait déterminer lui-même son sort, sabre en mains. Ainsi, Wun Zei quitta-t-il une dernière fois sa capitale pour affronter l’envahisseur.

L’approche de l’Empereur-Dragon ne surprit nullement Higashi et ses samourais. Une pluie diluvienne, sinistre prélude, chagrina les cieux, ce matin-là ; à midi, elle vira à la tempête, à « l’Arashi ». Les seigneurs féodés de l’Empereur Wun Zei le pressèrent de remettre d’un jour son assaut, dans l’espoir que la pluie s’apaiserait. Celui-ci refusa, purement et simplement. Au surplus, ses armées surpassaient celle des conquérants Nippons à presque… huit contre un, avec presque quatre fois plus de mages et de cavalerie lourde, nonobstant d’ailleurs la présence des trois cent Dragons Temûriens. Solidement retranchées, la vue des bannières Nippones détrempées claquant sur ses propres collines ainsi que les cris que poussèrent leurs porteurs l’ulcéra, et le vieux guerrier ne manqua guère de remarquer que la pluie soufflait du sud, au visage des forces ennemies. Aussi Wun Zei, l’Empereur-Dragon, donna-t-il le signal d’attaquer, et la bataille que l’Histoire nomma « le funeste Ouragan » commença.  Le combat se prolongea jusqu’aux profondeurs de la nuit, et le combat fut sanglant. A quatre reprises, Wun Zei lança ses cavaliers lourds sur les positions ennemies, et quatre fois il échoua à enfoncer les lignes adverses : les pentes étaient raides, les pluies avaient rendu la boue molle, et en définitive, les palefrois s’enlisaient, brisant la cohésion et l’élan des charges. Cela étant dit, les Zeng Hi eurent davantage de succès face aux fantassins Nippons.  Aveuglés par la pluie, les envahisseurs ne les virent gravir les collines que trop tard, et les cordes humides des arcs rendirent leurs arcs inutiles. En outre, en dépit de leur courage et de leurs talents au combat, les combattants du Bushidokan, face à la supériorité numérique des Zeng Hi, furent rapidement submergés. Une colline tomba, puis une autre. La quatrième et dernière charge de l’Empereur-Dragon enfonça le cœur des forces Nippones… pour laisser place à la fureur des dragons Temûriens. Nombreux furent les preux ce jour-là qui périrent dans les flammes, et nombreux furent les dragons massacrés au Katana, au Yari et à la Naginata. L’ardeur des Nippons trouva dans ce carnage sa plus belle expression. Dans un tel chaos, les montures, affolées, s’enfuirent bousculant les cavaliers, semant le chaos dans leur retraite. Wun Zei fut lui-même jeté à bas de sa selle.

Pourtant, il poursuivit le combat. Lorsque Higashi descendit la colline boueuse avec ses hommes, il trouva le vieil Empereur tenant en respect cinquante samourai, avec autant de corps autour de lui. « Ecartez-vous », ordonna Higashi. Il mit pied à terre pour affronter l’Empereur à armes égales et lui offrit une dernière chance de se rendre. Wun Zei le maudit ; et donc ils luttèrent, luttèrent, luttèrent, le vieux combattant face à l’impétueux Nippon. Chaque homme reçut de l’autre une blessure, dit-on, mais enfin le dernier des Empereurs-Dragons de la lignée des Wun vit son vœu exaucé, et il périt, épée à la main, une malédiction aux lèvres et son honneur retrouvé. La mort de leur monarque réduisit à néant le courage des Zeng Hi, et alors que la nouvelle se répandait, Jûfan et soldats du commun jetèrent leurs épées et s’enfuirent.

On craignait dès lors qu’Asagai, capitale de l’Empire Zengghuo, ne subisse le même sort que Quangdo, car les deux fils de l’Empereur défunt, Yin Zi et Feng Juan, barrèrent les portes à l’approche d’Higashi et de son Bushidokan. Plutôt que de ployer le genou, les défenseurs d’Asagai mourraient jusqu’au dernier, promirent-ils, quand les émissaires Nippons parlementèrent avec eux. « Vous pouvez vous emparer d’Asagai, mais vous n’y obtiendrez que des os, du sang et des cendres », rétorqua Feng. Hélas, leurs soldats étaient moins pressés de mourir. Cette nuit-là, hissant un drapeau noir en signe de capitulation, ils ouvrirent les portes de la ville pour livrer le cadet, Yin Zi, l’aîné Feng Juan s’étant soustrait à ses ravisseurs cette nuit-là pour s’enfuir de la ville.

L’on raconte aujourd’hui que le Conquérant Nippon défit les chaînes qui entravèrent l’héritier de l’homme qu’il avait occit et lui offrit l’opportunité de rester en vie, à condition qu’il demeure pour le restant des jours qui lui sont alloués dans un temple et qu’il renie ses droits à la succession. « J’aime mieux l’honneur que la vie, et je préfère mourir que vivre en perdant ma dignité et en ayant bafoué la mémoire de mes ancêtres », rétorqua-t-il sur un ton qui n’invitait à aucunes répliques. Respectant la volonté du jeune homme, Higashi l’autorisa à se faire Seppuku.

Le couronnement

Le nouvel Empereur-Dragon Higashi, premier du nom, avait certes conquis l’Empire Zengghuo à vingt-cinq ans seulement, mais il devait à présent relever un redoutable défi : gouverner ce domaine nouvellement forgé et consolider son nouveau pouvoir.


VI - Hassling, le grand jeu oriental, la guerre patriotique (1519 - 1524)


En ces temps où l’intolérance religieuse est chose commune dans le monde, Hassling, véritable faisceau cosmopolite de religion et d’idéologies, fait figure d’exception et se distingue. Gouverné depuis Arkaelis, capitale de l’orient Selvyen, l’empire multiethnique d’Hassling demeure riche et puissant, bien qu’il ait en partie renié son héritage ancestral au profit de la valorisation des cultures qui lui sont étrangères situées sur et en dehors de son territoire. Depuis l’époque des premiers empereurs, la situation a effectivement changé : la lignée a désormais moins d’importance que les capacités et le talent, ce qui contribue à faire de l’empire une nation progressiste et « méritocrate ». Contrairement à son homologue occidental et malgré de multiples épreuves, l’Etat a maintenu un pouvoir stable ainsi que centralisé et un florissant commerce lui permettant de bénéficier de rentrées financières conséquentes qui l’a pourvu d’un puissant appareil militaire, justifié par la redoutable et constante menace qu’incarne deux voisins : les sultanats de Yûrai et de Ben-Ur.

Ce qui frappe au premier regard, en dépit de son immensité, en dépit de la puissance de sa flotte, c’est la variété des races et des climats qui partagent l’Empire Selvyen d'Hassling. De cette variété résulte l’absence d’un organe de gouvernement véritablement centralisé et une extraordinaire complexité dans la manière dont sont administrées les différentes possessions : Selvyens occidentaux, populations mêlées des steppes, Sarozaar de toutes sortes, Germains plus ou moins civilisés des Valesques, Temûriens tout à fait primitifs de la Stefiaar, les Hassling n’ont pas eu la folie de croire que le même régime convînt à tous ces peuples ; ils n’ont pas pensé non plus qu’il fût possible d’installer dès l’abord dans des territoires tout récemment acquis le même type d'autorité que dans des pays qu’ils possèdent depuis longtemps, les conditions de race et de climat fussent-elles semblables. A l'orée de sa fondation, consécutive à la colonisation des territoires achéens, en l'an de grâce 563, l'Impérium Selvyen d'Orient voulut en effet incarner un modèle à la fois unique et universel : une nation garantissant la liberté et la prospérité à ses citoyens, montrant le chemin au reste du genre humain. De fait, l'Etat ne vit jamais dans sa politique extérieure qu'un simple modus operandi au service de ce destin. Soucieux de ne pas mettre en danger l'unité dont il s'est échiné à maintenir, l'empire embrassa l'isolationnisme telle une panacée vers 644 tout en s'empressant de développer ses relations avec l'étranger et en proclamant son ascendant sur l'ensemble de l'Orient, refusant de trop s'empêtrer dans ces querelles occidentales dont il craint les conséquences autant qu'il en reconnaît les opportunités. l'Empire, à l'inverse, durant la première partie du dixième millénaire, s'évertua à accroître ses possessions à l'Est par tous les moyens à sa disposition - au prix fort de multiplier d'épuisantes guerres avec le sultanat de Yûrai. S'il parût évident que cet impérialisme agressif était tout-à-fait incompatible avec les idées des pères fondateurs de l'Imperium, et ce à plus forte raison puisque celui-ci est doté d'une telle puissance qui lui permit en effet de faire preuve de souplesse et de générosité, d'alléger le poids de sa domination envers ses protégés, « les royaumes-client situés à ses périphéries », et d'assurer ainsi à son hégémonie une forme de légitimité, l'Empire selvyen d'Hassling se révéla être une puissance expansionniste et extrêmement agressive.

La lourde défaite des armées selvyennes orientales à Karygstadt en 1412, contre les germains de la grande tribu des Vherundrur redistribua les cartes et bouscula l'ordre géopolitique, entérinant un nouvel équilibre ouvrant de fait vers une nouvelle période. En 1489, la paix de Trézilène signée par l'empereur Traegidius et le Sultan Shapur VII scella le sort des territoires à l'extrémité des marches septentrionales faisant office de délimitation des territoires Yûrai et Selvyen, et les partagea. Vingt ans plus tard, le refroidissement des relations avec l'Imperium selvyen d'Issling coincida avec la montée en puissance du Sultanat de Yûrai, qui reconfigura les rapports de force en Orient, marqués désormais par l'antagonisme entre deux superpuissances, Arkaelis et la Tixiana ghazide, qui luttent encore aujourd'hui pour l'hégémonie régionale mais doivent aussi composer avec la poussée spontanée d'envahisseurs - germains et barbares nomades venus du lointain pays de Temûr, qui menacent l'intégrité des deux nations. En conséquence, chacun des protagonistes dispersaient des énergies inestimables dans ces conflits sans fin qui les confrontent à des adversaires aussi divers qu'insaisissables contre lesquels il faut systématiquement s'adapter, tout en s'employant à renverser le statu quo géopolitique en leur faveur par rapport à l'autre. La difficulté étaitdonc pour les deux parties double : il faut constamment maintenir des réserves et ne jamais jeter l'ensemble de ses forces dans une bataille décisive.

Dans ce jeu étrange, l'Impérium Selvyen d'Hassling tissa des alliances avec les ennemis de son ennemi, garantissant de fait une fluctuation permanente des rapports de forces ainsi qu'une incertitude géostratégique que l'on pourrait presque qualifier d'endémique... Hélas, en 1519, le sultanat de Yûrai prit l'ascendant à partir de l'ascension au pouvoir de Nebuhadnissar IV. A la tête d’une nation à l’apogée de sa puissance, celle de Yûrai, le sultan nourrissait l’ambition de réécrire l’histoire du monde et d’imprimer à son peuple un nouvel âge d’or en envahissant les possessions orientales de l’Imperium Selvyen par un choc si brutal que celui-ci aurait entraîné sa déliquescence puis son anéantissement, mais les vents de la politique furent imprévisibles et ils vinrent brusquement changer d’orientation pour mener l’empire ghazide vers une phase décisive de son déclin que causèrent en partie l’émancipation du Spahaan, Arslan Erdin, qui fondit son propre royaume, le sultanat de Ben-hur, et surtout un élément inattendu. Contre toute attente, c’est une surprenante page de l’histoire qui va s’écrire, où un modeste prêcheur dont le sultan n’a jamais entendu parler et qui de fait ne représentait rien pour le « roi des rois » vécut un événement en apparence anodin, lequel se révélerait par la suite l’un des plus marquants dans ce recoin du monde : un homme, du nom de Daryan, communiqua à son peuple l’extraordinaire expérience spirituelle qu’il a vécu une décennie auparavant et fut contraint de quitter sa ville natale, Antalem, avec des milliers de guerriers convaincus de la justesse de la cause qu’ils ont embrassés et brûlant d'une foi inextinguible qui semblait décupler la puissance. Par le fil de l’épée et par la conviction de sa parole, ce prophète parmi les plus zélés unifia les peuples nomades d’origines Sarozaar du Désert du Rekdal et partit en guerre contre les sultanats de Yûrai, et de Ben-hur, emportant moult victoires avant de disparaître mystérieusement en 1514.  Les exceptionnelles conditions dramatiques dans laquelle se déroula cette énième guerre entre l'Imperium et le Sultanat servit ainsi d'occasion à des individus d'exception pour changer la direction des événements en leur faveur. l'Impératrice Valéria était une femme de cette envergure et il est probable que si feu son pusillanime de père était resté au pouvoir, l'empire aurait durant ces années noires sombré et Nebuhadnissar triomphé malgré les offensives menés par les Daryani, avec les conséquences qu'un tel dénouement aurait entraîné sur le cours de l'Histoire. C'est précisément au moment même où tout semblait perdu que la jeune impératrice prit les mesures qui lui permirent d'inverser ce courant, en négociant une paix de compromis au prix d'un lourd tribut avec les Vherundrur multipliant les raids et assauts depuis près de vingt ans en Achaie, aux portes d'Arkaelis, afin de concentrer tous ses efforts contre les Sarozaar de Yûrai. Elle entama un ambitieux projet de réorganisation de fond en comble de l'Etat d'Hassling, de son économie, de son appareil militaire, subdivisant l'empire fédéral en une multitude de régions militairement autonomes, des « thèmes », se débarrassant d'encombrants mercenaires au profit d'une armée citoyenne. Outre le fait que l'Etat économisait de larges sommes précédemment allouées aux soldats professionnels, l'allocation de terres en échange des services militaires rendus aboutit à l'éclosion d'une nouvelle classe de paysans-soldats qui devint la colonne vertébrale des armées impériales en plus d'agir comme un puissant facteur de cohésion en ces heures sombres si propices à la désunion. La souplesse de la décentralisation militaire permit à l'Empire d'encaisser de gros échecs sans que l'ensemble de l'édifice ne s'effondre.

Ces réformes drastiques sauveront notamment Arkaelis du danger que couvre le Daryanisme. Ayant anticipé que les enjeux allaient au-delà de la confrontation immédiate avec les Sarozaar de Yûrai, voire de Ben-Hur, et que le soutien de son peuple, pluriel mais uni, était requit, à cet effet, l'Impératrice se lança elle-même dans ce que l'on pourrait considérer comme la plus grande croisade des temps modernes, exhortant son peuple à repousser l'envahisseur et à récupérer les territoires perdus. Sa campagne de propagande fut à tous points exemplaires et rapidement, l'empire substitua sa position défensive à une offensive à outrance. En 1519, le sultanat de Yûrai paraissait pourtant n'avoir jamais été aussi fort, atteignant son extension territoriale maximale, mais pourtant les vents de la politique tournèrent vers un nouvel acteur : le royaume de Daryan récemment constitué. A l'émergence des partisans du Daryanisme, rien en apparence aurait distingué ces nomades bédouins vivant dans ce désert inhospitalier du Rekdal des autres peuples nomades, Inrelith notamment, aux marches de l'extrême-occident. La culture bédouine prévalant par bien des aspects les peuples nomades des steppes, on y observait un peuple organisé autour de clans résolument fermés et jaloux de leur indépendance. Dans ce contexte, il aurait été fort difficile de concevoir qu'un de ces clans put rallier un peuple entier et s'unir de telle façon qu'il pourrait mettre en péril l'une des deux superpuissances orientales. Les Inrelith, jusque là, furent l'un des seuls peuples nomades ayant pu menacer l'existence d'un empire sédentaire mais leur fantastique épopée avait rapidement tourné court, et ce malgré leur puissance.  

Présentement, en amont de ces réflexions, laisse voir se poindre une menace réelle où les Daryani, faisant fi de la perte de leur prophète qui aurait poser un frein à leur expansion, se montrent littéralement survoltées par leurs victoires contre des armées à qui d'innombrables légendes leur confèrent pourtant une réputation d'invincibilité. Ne craignant plus personne, convaincues qu'ils sont que leurs conquêtes n'expriment que la volonté de leur dieu, qui n'aspire qu'à unifier l'Orient pour enfin bâtir le Califat que leur a promit Daryan, les Daryani s'apprêtent à présent à bouleverser les données géopolitiques. Face à cette menace potentielle, alors que le monde se tient au bord du chaos généralisé, l'empire hésite sur la marche à suivre : faudrait-il intégrer ce peuple à la foi zélé à la vaste mosaique ethnico-religieuse qui le forme, comme il le fit à de nombreuses reprises, ou oeuvrer à sa destruction, étant entendu que la guerre face au Sultanat l'a affaibli et que le peuple, lassé de la guerre, ne souhaite qu'à vivre en paix ?  De plus, Malgré l'échec avéré du projet de conquête entreprit par Nebuhadnissar et la sensible régression de la qualité de son armée, celle-ci maintient sa masse, assure encore à l'empire Ghazide une cohérence, une stabilité suffisante, et dispose d'une démographie dynamique afin de compenser les pertes récentes, quoiqu'il paraisse aujourd'hui évident que les revers et échecs militaires accumulés par le sultanat ont définitivement altéré l'éclat unique dont il avait autrefois brillé... Le lion blessé peut parfois mordre avec davantage de pugnacité, se plaisent à décrire les chroniques sarozaar.

Dernière édition par Templar le Sam 12 Mai - 0:23, édité 6 fois

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VII - Issling, l’ère des Grands Troubles (1490 - 1525)

Depuis la lointaine époque de la déesse Sola Invicta, première impératrice d’un empire Selvyen réunifié, les femmes n’avaient joué qu’un rôle secondaire dans l’épopée des Selvyens Occidentaux. Il en va autrement durant cette époque.

Au fondateur de la dynastie, Sven Carnathien, succédait son fils Theodericus, puis, en 1465, l’aîné de ses petits-fils, Aerius premier du nom, malingre et maladif, qui ne régna que pendant six ans. Deux autres descendants de Theodericus se partagèrent le trône : Vylien et son demi-frère, Welner. Surnommé « le Simple », Welner était un faible d’esprit qui se remettait pour l’exercice du gouvernement à leur sœur Brunehilde, une femme intelligente que les chroniqueurs se plaisaient à décrire avec nombre d’épithètes fort peu élogieux, lesquels soulignaient « le maintien peu noble de sa taille, sa poitrine quasi-inexistante, son absence de grâce dans sa gestuelle et sa voix grave et désagréable ».

Sans trop tarder, Vylien cloîtra sa sœur dans un couvent et s’empara de la réalité du pouvoir. Devenu Empereur, Vylien Ier réveilla l’antique Selvya de sa torpeur séculaire, s’employant à raffermir son autorité tout en incitant mages et savants à enseigner dans les académies impériales. Il ordonna l’exécution de son propre fils, Grunweld, convaincu d’un complot… Et lorsqu’il mourut en 1493, la couronne n’avait plus aucun héritier direct. C’est alors que fit irruption sur le devant de la scène l’une de ces figures improbables promises à un destin prodigieux, qui émaillèrent l’Histoire selvyenne. En secondes noces, Vylien avait épousé une certaine Selena Equirii. D’ascendance Sarozaar, celle qui avait vu le jour en 1453, vit sa jeunesse ponctuée d’anecdotes invérifiables. Les chroniqueurs étant dépourvu de document précis quant à ses origines, il semblerait cela dit que ses parents – paysans ou taverniers – aient été victime de la peste vers 1458. L’orpheline, alors âgée de cinq ans, fut élevée par une tante. Elle sera ensuite placée chez un prêtre de Starbonensis, du nom d’Emilien Crassus, connu pour avoir vulgarisé les anciens écrits du culte solaire pour la plèbe.

Recueillie par charité, employée comme domestique, elle restera analphabète. Elle n’avait que dix-sept ans lorsque sa beauté avenante lui valut d’épouser Elfyr Stein, un jeune Lord qui périt tragiquement dans l’arène. La très jeune veuve fit contre mauvaise fortune bon cœur. De gré ou de force, elle s’enrôla dans les fourgons de l’armée impériale en qualité de cantinière, sinon de prostituée. Toujours est-il qu’elle avait suffisamment d’entregent pour se glisser dans le lit du Magister Militarii, puis dans celui du favori de l’Empereur, le prince Alexandros Erelione. Enfin, à l’automne 1482, Vylien s’enflamma lui-même pour elle d’un violent amour… Comment expliquer l’ascendant que cette ancienne servante, issue des plus basses classes de la société, a su acquérir sur l’un des plus puissants monarques de son temps ? A cet égard, le consul Primus Maximilien, un intime de sa majesté impériale, rapporta dans son journal : « C’était une fort jolie femme, et de bonne mine, qui avait du bon sens, mais point du tout cet esprit sublime et cette vivacité d’imagination que quelques personnes lui attribuent. La grande raison qui la fit si fort aimer l’Empereur, c’était son extrême bonne humeur. On ne lui a jamais vu un moment de chagrin ni de caprice. Obligeante et polie avec tout le monde, elle n’oubliait pas sa première condition… »

Les témoignages du temps divergèrent quant à l’apparence physique de la future impératrice. Les uns louaient sa beauté, quand d’autres insistaient sur sa taille médiocre et son embonpoint, ses yeux sombes, son teint trop blanc, encore souligné par des cheveux teints en noir. Epousant l’Empereur durant l’été 1483, elle lui parût indispensable chaque jour davantage, tant sa présence suffisait à apaiser ses terribles accès de fureur. L’un de ses contemporains attesta même « qu'elle adoucit beaucoup les mœurs de son mari, et sauva beaucoup de dos de la lame et beaucoup plus de têtes de la hâche. […] On l’aima, on la révéra. Un vulgaire baron, un écuyer du commun, n’eût point épousé Séléna ; mais Vylien ne pensait pas que le mérite eût auprès de lui besoin de trente-deux quartiers ».

Lors de la campagne au pays Inrelith, en 1485, la jeune femme, quoique enceinte, n’hésita pas à suivre son mari au plus fort des combats. Lorsqu’il fut capturé, elle offrit à ses ravisseurs ses pierreries et ses fourrures en guise de rançon. Afin de la remercier pour son courage, l’Empereur instituera en son honneur l’ordre féminin de Sainte-Avidéa. Quelques mois ensuite, sous les voutes de la cathédrale impériale, le maître d’un continent tout entier fit célébrer son union avec l’obscure sarozaar qui a conquis son cœur, lui avouant que « rien ne pouvait se comparer à elle ».

De la dizaine d’enfants que Séléna donna à Vylien, seules trois filles, prénommées Katerina, Angelica, et Opia, atteindront l’âge adulte. Soupçonnée d’adultère avec le funeste Magister praetorii, Armanaric Wald, elle saura reconquérir in extremis la confiance de son mari, à qui elle veillera nuit et jour sur son lit d’agonie. Lorsque celui-ci trépassa enfin, nul ne s’avisa de lui contester ses droits au trône, l’Empereur ayant aboli le principe de l’ordre de succession en lignée masculine en arguant que le souverain régnant disposait du droit de désigner comme héritier tout homme « digne de diriger l’Etat », qu’il soit issu ou non de la lignée légitime. En l’occurrence, cet homme fut une femme.

Appuyée par le Synode et avec l’assentiment du sénat, Selena n’avait aucune intention de se déposséder de la couronne dont Vylien l’avait ceint. Son expérience politique étant cependant médiocre, elle délégua les rênes du pouvoir à celui qui s’avéra être… son amant, Armanaric, qui avait intrigué pour la maintenir au sommet de l’Etat. Issu de la noblesse guerrière germanique, le Magister Praetorii, cadet d’une famille nombreuse qui avait grand mal à assurer à chacun de ses membres un héritage et un avenir certain,  avait intégré les rangs de la garde impériale. Affable lorsque ses intérêts s’y prêtaient, implacable, sinon cruel, si la situation le contraignait à l’être,  talentueux combattant conciliant – étrange paradoxe -  une nature profondément calculatrice ayant pris goût pour les intrigues et la perfidie, ainsi qu’un tempérament sauvage et bestial évocateur de ses origines barbares, une certaine force d’imagination aurait été nécessaire pour tout observateur extérieur désirant saisir les subtilités de la personnalité de cet homme, en premier lieu pour démêler les fils qui constituaient la trame de ses complots. Sous des dehors affables et aimables, l’homme était éminemment fourbe. Animé par une soif de pouvoir irrépressible, il plongea l’Empire dans un bain de sang.

Le règne personnel de Séléna ne fut une qu’une parenthèse. Si elle ne savait même pas signer, l’impératrice était polyglotte, maniant six langues approximativement. Ses usages sont certes policés, mais ses appétits sexuels insatiables. « Elle n’ignorait pas l’art d’aimer et semblait faite pour le pratiquer, mais elle ne se piquait point de constance… » racontait-on dans les cours seigneuriales. Au maître de la garde, elle avait adjoint une cohorte de nobles amants aussi jeunes qu’attirants… A l’image de feu son époux, elle prétendait régner en tant qu’autocrate ; hélas, par faiblesse sans aucuns doutes, elle laissera son amant  s’imposer. Les factions adverses de la haute noblesse, dirigée par les Carnathiens et le prince Carolus, furent décimées sans pitié. Onze mille suspects, arrêtés, condamnés, montèrent sur l’échafaud ou périrent sous la hache du bourreau. Plus du double vont croupir dans les forteresses ou relégués au fin fond de la toundra. En 1495, l’impitoyable Armanaric – qui se flattait faussement d’appartenir à la prestigieuse lignée des Thylis, obtiendra de sa maîtresse d’être proclamé duc souverain d’Astrasie.

Hautaine, vaniteuse et dissolue, surtout préoccupée de son confort, sans formation politique, l’Impératrice n’eut pas assez de tempérament pour s’opposer aux atrocités commises en son nom par son âme damnée. Armanaric n’avait-il pas décrété que « les Selvyens ne doivent être gouvernés que par la verge et la hache » ? Le régime tyrannique – «  à la Germanique » - qu’il instaura fut qualifié de « Terror Teutonicus », c’est-à-dire de « Terreur Teutonique ». Aussi a-t-il été créé une chancellerie secrète assignée à la tâche d’espionner les sujets de l’Impératrices : arrestations arbitraires, persécutions aveugles, délations, injustice et corruption frappèrent toutes les strates de la société, de la noblesse à la paysannerie. L’armée et l’administration furent même dominées par des Germains et des Asbjorns, souvent inféodées à l’Empereur Reyksavien, Traoren ; sur le plan militaire, l’Empire selvyen poursuivit son expansion vers les terres Inrelith. Une nouvelle guerre sera déclenchée contre ces derniers, qui n’aboutira, au prix de lourdes pertes, qu’à de maigres gains territoriaux au surplus difficile à mettre en valeur.

Pendant ce temps, Selena se complaisait dans les plaisirs baroques de la cour. Elle collectionnait les robes luxueuses surchargées de broderies, recrutait ses partenaires amoureux parmi des individus de bas étage, s’enivrant plus que de raison et s’entourant de monstres difformes. Parmi eux, on se souvint de Beznojka, une femme cul-de-jatte, Borbusa la bossue, ou encore, Adrasa, une Inrelith d’une effroyable laideur. Pour le punir d’avoir renier sa foi envers le culte solaire, elle fit d’un prince de Stasinaire son propre bouffon. Un jour lui vint même la fantaisie de le marier à l’une de ses naines. Les « fiancés » furent conduits à la cérémonie enfermés dans une cage avant d’être placés sur un traineau tirés par des rennes, des bœufs, des chiens et des porcs. Pour la nuit de noce, l’Impératrice fit même édifier un « palais » dont tous les meubles étaient sculptés dans la glace…

Cette étrange souveraine succomba peu de temps après à une crise de goutte en 1507, tourmentée dans le délire de son agonie par les fantômes des innombrables innocents dont elle avait eu la faiblesse de laisser périr. Fourbe jusqu’aux derniers instants, Armanaric parvint à lui faire signer un testament en faveur de son petit-neveu, Kholm de Wyck, fils de la grande-duchesse Opia. Peu après son avènement, Selena avait choisi sa fille aînée, Katerina, pour lui succéder. Sa mort prématurée rendit caduc ce testament.

Armanaric comprit rapidement l’avantage de faire de ce bambin le nouvel empereur et autocrate de toutes les principautés selvyennes. Ainsi, il lui serait loisible d’exercer la régence durant un temps presque indéfini. Pour s’en assurer, il prit soin de placer le duc et la duchesse de Wyck en résidence surveillée dans le palais d’Anthème de Selvya. Cependant, l’implacable régent s’était attiré l’ire de nombreux ennemis, dont le redoutable Lord d’Istralie, Aurelius Sorge. Celui-ci convainc d’ailleurs Angelica, fille cadette de feu l’impératrice, de fomenter une conspiration pour restaurer la dignité impériale et récupérer le pouvoir. Armanaric fut capturé nuitamment, puis expédié en prison, à l’instar de ses milliers de victimes, et plus précisément dans la forteresse de Scanatores. Le triomphe de la jeune impératrice fut des plus brefs – à peine plus d’une année. La simplicité de mise de cette princesse contrasta avec le luxe tapageur de sa mère. Indolente également, n’appréciant guère le faste ni la parure, elle se tint enfermée dans son intérieur, traînait au lit, se promenant en déshabillé dans les couloirs du palais. « Elle était naturellement malpropre, rapporta Lord Aurelius, se coiffait d’un mouchoir blanc, allait ainsi à la messe et sans jupons, et paraissait de même en public et à sa table… »

Angelica et son mari répugnèrent à toute formes de despotisme et menèrent une politique modérée et paternelle, à mille verstes des excès du funeste Armanaric. Fidèle à la politique adoptée par ses prédécesseurs, elle poursuivit la lutte contre les Inrelith, remportant la victoire de Stjandvik, en 1517. La même année, le souverain du Sultanat de Yûrai, Nebuhadnissar, envoya à Selvya une brillante ambassade, accompagnée de quatorze mastodontes, pour demander la main de la princesse Emilia, renommée pour sa beauté. L’union ne sera jamais concrétisée, mais l’Impératrice omit sciemment de restituer les joyaux inestimables adressés en cadeau…

Si ses goûts vestimentaires furent modestes, Angelica se montra nettement plus frivole en matière érotique. A l’exemple de sa mère, elle adjoignit une kyrielle de sigisbées tout dévouées à sa personne. L’on chuchotait également qu’elle aimait les femmes, et les faveurs qu’elle accorda à sa Dame d’honneur, Julia Caia, semblaient des plus suspectes. Ce que l’on lui reprocha très rapidement, c’était de s’entourer presque exclusivement d’étrangers et de mépriser aussi bien l’armée que le peuple selvyen. En outre, les difficultés économiques furent aggravées par la hausse des impôts. Or, la duchesse de Wick, à l’instigation du vice-chancelier Aretinii, avait résolu de se proclamer impératrice en 1514, le jour de son vingt-troisième anniversaire. Cette velléité précipitera sa chute.

Les mécontents se tournèrent naturellement vers celle qui incarnait à leurs yeux une sorte de légitimité dynastique : la grande-duchesse de Wick, Iréna Carnathien, troisième en ligne successorale. Ce fut alors qu’entra en scène Seljar Strum, Lord d’Arkhansie. Exploitant l’intérêt de l’impératrice pour les arts reyksaviens, il ourdit un complot avec l’objectif précis de la renverser. Lorsque la police impériale le suspecta, il utilisa comme truchement un autre Asbjorn, le comte Jan Cruse, médecin royal. Circonvenue par ces deux maîtres ès intrigues, Iréna se laissa entraîner dans l’aventure, d’autant que sa cousine songeait à lui faire épouser malgré elle l’un de ses beaux-frères Wick. L’impératrice, ayant eu vent de l’affaire, s’en ouvrit avec une franchise naive à la grande-duchesse qui feignit la surprise, fondit en larmes avant de lui jurer une fidélité éternelle. Cruse, qui était conscient de l’imminence du danger, tendit alors à Iréna un dessin montrant une potence et une couronne : « Point de milieu, Madame, l’une pour vous demain, ou l’autre pour moi. »

Dans la soirée des Apanades, à Selvya, la fille de Vylien Ier se présenta au quartier général du régiment Leones, le plus ancien et le plus illustre de la garde impériale. A ses côtés se tinrent l’indispensable Cruse et le Magister militum, Titus Flaminius, dont elle en fera son consul. Iréna avait enfilé une cuirasse d’acier par-dessus sa robe et brandit une croix d’argent : « Qui voulez-vous servir ? lança-t-elle aux chevaliers. Moi, votre souveraine véritable, ou ceux qui se sont accaparés mon héritage ? »

Le prestige et la popularité de la Grande-duchesse sont tels que trois-cent hommes rallièrent aussitôt sa cause et marchèrent sur le palais impérial. Angelica et l’un de ses nombreux amants furent tirés de leur lit sans aucun ménagement, à demi vêtus, et traînés au dehors, pour être ensuite détenus dans une forteresse de Iakonie, puis à Kalmarie, près de la péninsule d’Istral. Elle y mourra en couches, cinq années plus tard.

Pour l’heure, et malgré les frimas, le peuple selvyen célébrait dans l’allégresse la réussite de cet énième coup d’Etat, qui s’était distingué des précédents en raison de l’audace le caractérisant et l’absence d’effusion de sang. L’avènement d’Iréna signifiait pour eux la fin du « régime germanique » et la renaissance de la nation selyvenne. La jeune souveraine n’avait-elle pas proclamé qu’elle avait « délivré le peuple qui gémissait sous les ennemis de la foi véritable de la dégradante oppression des étrangers » ? En passant, la nouvelle impératrice avait résolu de n’exécuter personne, ce à quoi les Chevaliers de la garde impériale rétorquèrent « qu’il aurait mieux valu massacrer tous ceux qui séjournent dans cette capitale fangeuse puant la merde, pour débusquer les derniers soutiens à la traînée d’impératrice qui nous a dirigé ». Ayant publié un moratoire sur la peine de mort, ces derniers furent soumit à une détention perpétuelle.

Si Iréna se révéla nettement moins violente que ses prédécesseurs, elle ne pardonnait à personne. Ses ennemis furent traqués sans merci puis affligés de supplices plus cruels encore, tandis qu’elle comblait de bienfaits ses partisans. Son apparence clémence dévoilait, en réalité, une forme subtile de barbarie. Chasseresse et férue d’équitation, elle portait volontiers la tenue masculine, ne dédaignait ni les alcools forts pas plus que les mets épicés. De haute taille, son embonpoint excessif eût finit par la rendre impotente. Cela n’entravera jamais ses débordements érotiques. Voluptueuse à l’excès, née de sangs voluptueux, elle disait souvent à ses confidentes qu’elle n’était contente que lorsque elle était amoureuse, encore qu’elle était fort inconstante et changeait souvent de favoris. Inexpérimentée, quoique dotée d’une certaine lucidité, mais manquant de discipline personnelle, l’Impératrice s’appuya sur d’habiles conseillers. Les prérogatives législatives et administratives du Sénat furent rétablies, tandis que la chancellerie secrète fut remerciée. Parallèlement, le Synode accrût l’aura religieuse de la souveraine en faisant d’elle la maîtresse du Culte solaire. Elle développa également le secteur manufacturier, en particulier les fabriques d’armement, ainsi que l’exploitation des mines au sud. Des mesures protectionnistes – augmentation des droits de douane et taxes à l’importation – ont été couplées avec un abaissement des barrières intérieures. Enfin, le privilège de posséder des terres cultivées par des serfs fut désormais réservé à la seule noblesse.

Elle renvoya les étrangers les plus détestés au profit de spécialistes venus d’orient. Elle dut cependant recourir aux services de Reyksaviens, Sarozaar et Germains, dans les domaines où leurs compétences faisaient défaut. Elle-même avait hérité de certaines qualités de son père, mais elle faisait trop souvent preuve d’une mollesse coupable, laissant passer des mois avant de parapher certains documents officiels. D’autres diront que cette irrésolution apparente n’était qu’une habile manière de laisser mûrir ses décisions. C’est « la plus paresseuse, la plus extravagante et la plus amoureuse des souveraines », selon la formule d’un contemporain. Sa piété, sincère, s’accompagnait d’une dévotion outrée. Malgré sa galanterie et son libertinage, elle tenait pour péché inexpiable de consommer de la viande lors des mois de jeun, considérait les lectures profanes comme « nuisible à la santé » et ordonnait que l’on arrache la langue aux blasphémateurs. Cette foi excessive se teintait également d’une superstition extravagante : n’a-t-elle pas un jour refusé d’apposer sa signature sur un traité au prétexte qu’une guêpe de mauvais  augure avait voleté autour de sa plume ?

Aux débuts de la première décennie du seizième siècle, avec sa féérie permanente dans un déluge d’or, de perles et de diamants, la cour de l’empire occidental était l’une des plus splendides au monde. A chaque banquet, le vin coulait à flot et l’impératrice tenait à offrir à ses convives les mets les plus rares, en particulier des ananas, dont elle raffolait en toutes saisons ! Possédant plus de quinze mille robes et plusieurs milliers de paires de chaussures et d’accessoires qui ne lui servaient qu’une fois, elle changeait de tenue de deux à six reprises quotidiennement. Les marchands devaient lui présenter leurs tissus en exclusivité. Pour être certaine que les invités à ses bals ne réutilisent point leurs vêtements, elle les fit marquer par ses gardes au moyen d’une encre indélébile !

L’impératrice voulait passer pour la plus belle femme de son empire. Gare à tous ceux qui s’aviseraient de la contredire ! Par décret, elle interdit à quiconque de porter la même coiffure qu’elle ou une robe qui copierait l’une des siennes. Elle souffletait à l’envi les impudentes qui osaient lui déplaire. La malheureuse princesse Natalia Laraza, pour avoir contrevenu à cette directive, fut fouettée au visage. Il était cela dit avérée que cette dernière avait trempé dans un complot visant à rendre le trône à l’ancienne impératrice, Angelica.

Il se posa ainsi la question de cette impératrice solitaire. Puisqu’après elle, il n’y aura plus de Carnathien en lignée directe, elle décida de désigner comme héritier son neveu, Valentinien. Né en 1501, ce grand dadais souffreteux qui détestait les Selvyens d’Issling épousa une princesse reyksavienne, Fyrna Tarnsgard. De plus en plus instable et paranoiaque, en proie à des bouffées de colère, l’impératrice vieillissante changeait constamment de résidence et, craignant les attentats, ne dormait que durant le jour, souvent abrutie par l’alcool. Quand elle était malade, nul n’osait lui demander des nouvelles de sa santé, de crainte de commettre un crime d’Etat. Sur son lit de mort, cette souveraine au tempérament insaisissable, à la fois sage et folle, confia à Valentinien et à Fyrna : « Je vous ai toujours aimés, et je meurs en vous souhaitant la concorde et la prospérité, gages de votre bonheur et celui de l’Empire ».

La révolution militaire

Au moment où Valentinien, à vingt ans, devint empereur en 1521, il ne devait pas seulement regarder l’état de son empire, déjà fort préoccupant. Il fallait également regarder l’état du monde. Océania était devenue sinistre.  On voyait se poindre à l’horizon un âge de grands carnassiers. Une guerre terrible se préparait au Proche-Orient, alors que l’invasion nippone de l’empire Zengghuo avait été couronnée de succès, et que chacun allait accueillir le nouvel Empereur-Dragon comme un acteur majeur au sein du grand jeu politique oriental. A l’ouest, le Reyksavya, digérant ses conquêtes ne songeait qu’aux intérêts de son commerce et à garantir contre les concurrences étrangères sa suprématie maritime et technologique. Tel était le monde lorsque la plus grande partie des Océaniens rêvait d’une rénovation de l’humanité et d’un âge d’or qui saurait expier les fautes des temps passés.

Une seule erreur suffit à causer la chute du jeune empereur. La société selvyenne était depuis longtemps dominée par le pouvoir autoritaire de son monarque. Comme dans la plupart des nations guerrières océaniennes, on estimait généralement que le pouvoir des monarques se fondait sur sa force, que son autorité procédait des anciens Dieux et non d’un quelconque processus démocratique. En Selvya, plus précisément, les principautés étaient soumises aux caprices de leurs dirigeants qui, pour nombre d’entre eux, n’étaient guère à la hauteur de leur tâche. En outre, Selvya connaissait une longue histoire de tensions entre les Princeps, la caste militaire, qui déplorait le manque de considération dont ils souffraient, les Lords et le souverain lui-même. L’équilibre entre l’autocratie, l’aristocratie et les forces militaires était précaire, et leurs relations, souvent houleuses et empreintes d’antipathies réciproques, menaçait fréquemment de le rompre. Dans le but de contenir les aspirations des Princeps, Valentinien avait favorisé l’aristocratie, dont les ambitions crûrent au fil des ans, au détriment des militaires qui, durant l’ère des troubles, s’étaient employés à acquérir une autonomie et une puissance qui remettait en cause l’autorité impériale.

L’engagement inopiné de la pars occidentalis dans la guerre au proche-orient provoqua une crise financière, qui, à son tour, donna lieu à un alourdissement des taxes et impôts dont la paysannerie eût à supporter le poids. De plus, de mauvaises récoltes et des pénuries alimentaires aggravèrent la situation fort inquiétante des paysans, alimentant les vieilles rancunes et offrant un terreau favorable aux contestations et autres revendications. Celui-ci offrit un ferment rêvé aux militaires endurcis revenus de la guerre, lucides sur le fait que toute réaction politique s’appuierait sur eux. Depuis longtemps, en effet, l’armée impériale était associée, dans les esprits, aux grandes réalisations de jadis ; elle était auréolée du prestige des vieilles traditions. Le petit peuple selvyen, de surcroît, se représentait fréquemment leurs officiers comme des hommes hors du commun, investis d’une sorte de sacerdoce au service de l’Etat. Jugeant les dignitaires de l’armée plus honnêtes, plus sûrs ou, selon leur propre expression, plus « sincères » que les aristocrates et les bourgeois qui peuplaient les villes, chacun étant selon leurs avis davantage préoccupés par leurs intérêts égoistes, les militaires avaient acquis une grande popularité dans la paysannerie. Leurs chefs, de leurs côtés, se reconnaissaient volontiers dans cette image flatteuse. Placés dès le plus jeune âge dans écoles de cadet qui les isolaient du monde extérieur, ils étaient élevés dans les grandes traditions militaires. Soumis à une éducation patriotique qui confine à l’endoctrinement, ils tinrent rigueur aux Lords de les avoir jadis spoliés de leurs biens et revenus. En matière de relations internationales, ils se résignaient mal à un rôle secondaire qui les plaçait après les marchands. Enfin, ils accusèrent les impératrices de tous les maux, quoique certains étaient parfaitement justifiés, et d’avoir brisé tous les ressorts moraux de la nation sans lesquels la force militaire d’un peuple n’est qu’une illusion. Leur attachement aux valeurs traditionnelles et leur relative autonomie au sein du gouvernement ont prédestiné les officiers à prendre une part privilégiée à la politique de réaction.

Dès lors, les militaires bénéficièrent du soutien unanime de la masse paysanne. Le menu peuple des campagnes, préservé des transformations qui ont affecté la vie citadine, constitua un véritable conservatoire d’attitudes et de comportements hérités des anciennes sociétés selvyennes. L’éducation populaire avait réussi à faire partager à tous les ruraux ces sentiments patriotiques qui inspiraient les milieux dirigeants des siècles précédents. Le plus surprenant fut bien que la paysannerie à laquelle la caste militaire a dénié pendant presque deux siècles le droit de porter les armes, se laissa aisément convaincre qu’elle incarnait l’âme guerrière de l’empire. Fournissant l’essentiel des contingents de conscrits, les paysans eurent le sentiment d’apprendre autant à la caserne qu’aux écoles publiques. Ces deux institutions leur insufflèrent les vertus militaires et leur proposèrent l’idéal d’une mort glorieuse au service de l’empire. Les généraux de l’armée et de la marine ne furent donc pas cette classe sociale coupée du menu peuple que connût certains pays : leur recrutement ne se limitait plus exclusivement aux Princeps. Ainsi, l’amirauté et l’Etat conservèrent des mentalités plus proches de celle des paysans que celle des élites aristocratiques.

Nourrissant de solides préventions à l’égard des courtisans qui fréquentaient la cour impériale, les bourgeois et les modes de vie des citadins, et une aversion résolue à l’endroit de tous ceux qui n’étaient ni Germains, ni Selvyens, les Princeps considérèrent les ruraux comme la masse de manœuvre indispensable à l’essor de la puissance militaire du pays, manifestant d’ailleurs une sollicitude sincère pour les paysans atteints dans leur chair par la hausse de l’imposition fiscale. En définitive, une communauté d’aspirations, d’affinités politiques ainsi qu’une solidarité d’intérêts furent d’autant d’éléments qui s’appliquèrent à resserrer les liens entre le monde rural et la classe militaire.

Les nombreux soldats qui revinrent de la guerre au proche-Orient, au surplus, se révélèrent déçus de l’absence de réforme en faveur de l’amélioration de la condition paysanne. Quoiqu’il avait connu, à son accession au trône, une certaine popularité, le jeune Empereur souffrit de la haine qu’inspirait l’attitude son épouse. Le couple impérial n’eût d’enfant que cinq ans après leur mariage, ce qui contribua fort à l’impopularité d’une impératrice mal considérée pour ses liens avec le lointain empire reyksavien, sa tendance à promouvoir ses favoris et sa frivolité aussi. Jouissant ouvertement des privilèges relatifs à son rang, elle recherchait en effet la compagnie de courtisans impudents, laquelle provoqua scandales et flopée de pamphlets insultants à son encontre. Elle était hélas bien incapable de comprendre la situation de ceux qui n’appartenaient pas au petit monde de la cour et ne paraissait que plus irresponsable. Il semblait, pour sa part, que Valentinien ait tenté de réformer le système financier de son empire. Sur les conseils de ses ministres, il voulut lancer des impôts visant à taxer les grands propriétaires terriens, les Lords. La vieille noblesse fit échouer ses projets en ce sens. Alors que les crises économiques se succédaient, les critiques s’élevèrent contre ce roi jugé faible et hésitant. Lorsque la révolution militaire eut éclaté, son irrésolution ainsi que son apathie conduisirent Valentinien à entreprendre de mauvaises décisions. Il se prétendit ainsi favorable aux réformes exigées par le peuple, mais sa fuite hors de capitale en 1524 fut considérée comme un acte de pure trahison. Accusé en outre d’avoir tenté de négocier avec des puissances étrangères, il fut emprisonné puis aussitôt exécuté un mois après son incarcération dans des conditions glauques. Fyrna Tarnsgard, qui depuis le début de cette fronde menée par les militaires avait montré un caractère plus affirmé que son mari, le suivit néanmoins sur l’échafaud.

Sitôt que l’empereur eût péri, des fractures se firent jour au sein même des factions militaires, certaines voulant négocier avec la noblesse, quand d’autres projetaient établir une monarchie constitutionnelle. Ces divisions au sein des Princeps, menaçant de mettre un terme à la révolution, tandis qu’à l’horizon, l’on voyait se poindre l’émergence d’une ligue dédiée à la restauration de la monarchie menée par les Grands nobles, aurait pu faire de cette révolution une simple parenthèse historique, un égarement du passé, voire peut-être la voie qui mènerait enfin à la réunification des deux empires selvyens, sitôt que celle-ci aurait été réprimée. Il en fut tout autrement. Un général, du nom de Titus Flaminius, s’imposa rapidement parmi ses congénères ;  il exhorta à une guerre sans merci face aux Lords, avança que seule une lutte permanente et implacable face aux vieilles familles selvyennes pourrait assurer la pérennité des acquis de la révolution, et assimila tous compromis à de la pusillanimité. Plus redouté qu’admiré dans le milieu révolutionnaire, connu pour son implacable désir de l’emporter, ses colères tempétueuses et son mépris de l’indécision, le général devint le Magister Militum, puis, enfin, le Magister Palatii qui institua sa dictature militaire en propre.

Une courte guerre éclata, opposant les masses paysannes encadrées par les militaires aux puissantes alliances de l’aristocratie cimentée par la Ligue Honorius – nommée ainsi en l’honneur de l’héritier éponyme. En une seule année, tant de coups de théâtre, de scènes tragiques, de sang répandu, ont frappé à juste titre les mémoires et les frappaient encore davantage, dans une nation comme l’empire selvyen où la tranquillité, depuis l’invasion Inrelith et en dépit des guerres féodales, n’avait plus été sérieusement troublée, où la vie était brillante et douce. Ces événements, vus du dehors, ne manquaient pas de donner l’impression que l’Empire se consumait dans l’anarchie et qu’il courait à sa perte. Cette première observation se révélait peut-être juste… L’empire se mourrait sous les coups aveugles et répétés de ceux qui, inconsciemment, souhaitaient le maintenir. Le conflit, ainsi, aboutit à la victoire des Princeps et à la consécration de l’autorité du « nouvel autocrate », du « nouvel empereur » qui n’en était pas un : Titus Flaminius. Dénuée de toute légitimité, l'officialisation de sa venue au pouvoir en 1520 marqua la fin de toutes relations diplomatiques avec le grand empire oriental selvyen, mais ceci lui chaut peu. Lorsque Titus entra en possession de l’Empire, il demanda aux principaux officiers de quelle manière ils croyaient qu’il le dût gouverner. « Seigneur, lui dit un d’entre eux, pour vous bien acquitter de l’administration de ce grand état dont vous êtes le dirigeant, il faut que vous accumuliez fer et or. Par l’un vous punirez les rebelles, et vous réprimerez vos ennemis, et par l’autre vous récompenserez vos amis, et vos fidèles citoyens. » Celui qui avait donné ce conseil en reçût le fruit, et passa un des premiers par l’épée du Magister, qui règne à présent sans partages. Incontestablement, une nouvelle ère semble s’ouvrir pour l’Empire.


VIII - Guerre et Paix

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