1. Le premier Age

I -  La fondation de l’empire selvyen

Le règne de Thylis coincida avec une période d’harmonie et de prospérité dans le nouvel empire qu’il avait édifié. Celui-ci s’étendit vers l’est, posant les prémices du second empire selvyen située en Hassling, ou en « orient », et sa stabilité politique aboutit à un essor des activités culturelles et techniques au point que l’on prête souvent à feu l’empereur ces mots « Je trouvai Selvya faite de briques, et je la laissai d’or et de marbre. » A sa mort, son fils Aegidius parvint à maintenir la stabilité dont il avait héritée. Faute de lois précises concernant la succession, la condition d’empereur était précaire, fragilisée par de sanglants complots politiques et par des guerres civiles endémiques nuisant fortement sa légitimité. Des successeurs directs d’Aegidius, Elzenius et Armanic, périrent assassinés et furent ainsi infligés de la « damnatio memoria » en raison de leur cruauté. Certains empereurs se distinguèrent par leurs legs à l’Histoire ou par leur destinée. Andronique construisit l’académie des mages d’Alsur, laquelle tint une place particulière de par sa contribution à l’architecture de la capitale et à l’instruction des cadres dirigeants de l’armée impériale, qui devint extrêmement efficace. Grâce à une organisation militaire sans failles, qui demeura essentiellement la même jusqu’à nos jours, l’empire avait étendu sa domination sur l’ensemble d’Issling. Divisée en légions menées par les « Lords » ou « Princeps », combattants d’élites issus des rangs de la noblesse féodale, chacune forte de sept mille hommes, usant d’une large diversité d’armes enchantées, l’armée impériale garantissait à juste titre une efficacité rare. Sa structure de commandements très hiérarchisés permettait de brusques changements tactiques lors des batailles les plus indécises, souvent essentiels afin de défaire l’ennemi. Mais cette force connût son prix : l’autorité de l’empereur résidait dans sa puissance et très souvent, un guerrier prestigieux usurpait le pouvoir. Pire encore, l’élection et l'acclamation par les grands étaient redevenus les éléments constitutifs de l'accession au trône, tandis que le sacre impérial perdait encore de son efficacité comme fondement du pouvoir. Ces conditions favorisèrent l’accession au trône d’un ambitieux, et fortuné, général, Magnus Volanaro, dit « le Grand ».

Celui-ci arborait ce nom à juste titre car c’est sous son règne que l’empire, non seulement se releva après avoir amorcé une phase de déclin, mais connût ses développements les plus extraordinaires. L’expansion fut massive aussi bien en termes de richesses, de savoirs en magie et en gains territoriaux, tandis que l’instauration de réformes politiques et sociales radicales permit l’unification de ces territoires. Magnus ayant rapidement réalisé que la stabilité de son empire dépendait de ses relations avec les Lords, il amadoua ceux-ci en leur octroyant de hauts-postes au sein des armées et de l’administration civile, et en transformant leurs principautés en provinces dotées d’une appréciable autonomie. Magnus gagna également la confiance des Lords en épousant une jeune femme issue de la lignée de Thylis, issue de leurs rangs. Plus tard, il obtint le soutien des athées par l’abolition d’une taxe réservée aux non-croyants, et en assurant leur libre-accès à l’apprentissage de la magie. Il alla jusqu’à nommer certains athées aux plus hauts-postes de l’administration, démontrant ainsi une grande tolérance. Bien qu’illettré, le général se montra vivement intéressé par la philosophie et la théologie au point d’organiser de longs débats incluant des représentants de tous les représentants religieux. Ces réunions donnèrent naissance à une théorie religieuse nommée « Sylverii », rassemblant des idées issues de plusieurs croyances et mettant l’accent sur une tolérance universelle. Art, architecture, musique et littérature, qui furent florissants pendant son règne, passionnaient également le général. Il favorisa l’établissement d’une immense bibliothèque à l’intérieur des murs de l’académie d’Alsur à l’intention des étudiants en magie et des érudits, et fit édifier de superbes cités ceintes de murs. En dépit de ses réalisations, Magnus connut une fin de règne difficile du fait des actions de son fils Stratus qui tenta en 804 et en 806 de ravir le pouvoir en se déclarant empereur alors qu’il était absent de la capitale. Malgré leur réconciliation, ces événements furent en partie l’origine de sa mort survenue en 107.

A sa mort, son fils Stratus prit le pouvoir. Sous son règne, de même que sous celui de son fils et successeur Valérien, l’Empire d’Issling connut une faible expansion géographique en dépit de plusieurs campagnes militaires. De fait, il traversa une longue période de stabilité qui résultait directement des actions entreprises par Magnus. Victime de son penchant pour la boisson et la bonne chère,  Stratus délégua soudainement ses pouvoirs à son épouse orientale, Yasmina, ainsi qu’à ses beau-père et beau-frère, s’attirant l’ire des nobles, lesquels, à défaut d’entrer en rébellion, aspirèrent de nouveau à s’émanciper du pouvoir central, tandis que ceux-ci administraient une économie prospère. L’empereur donna libre cours à ses passions pour l’architecture, laissant derrière lui des monuments colossaux dans les cités de d’Halga, Olvindra, et Lahara et Hessene. Il mourut des suites d’une maladie liée à l’alcoolisme en 845. Valérien hérita sans doute d’un des plus riches royaumes de son temps. Durant son règne, il parvint à maintenir la prospérité de l’empire, mais ce fut hélas à cette époque qu’apparurent les premiers signes d’un déclin alors que les caractères fondamentaux de la dynastie Volanaro fondée par Magnus subissaient de profondes altérations. Dépourvue de la tolérance qui caractérisait son grand-père, Valérien s’échina à convertir l’ensemble d’Issling au culte dédiée à son ancêtre divin, provoquant là de nombreux et interminables conflits qui épuisèrent les ressources et suscitèrent la colère d’une grande partie de la population. L’impôt réservé aux athées fut rétabli, tandis que de nouvelles mesures discriminatoires à l’égard des adeptes des cultes polythéistes avaient été décrétées. Des temples furent désacralisées et transformées en Eglise à la gloire de la déesse du soleil invaincu, et la plupart des activités artistiques et culturelles qui avaient définit l’empire furent interdites. Simultanément, les nomades Inrelith, profitant de l’établissement de comptoirs Reyksaviens et Zeng Hi dans les provinces côtières, accrurent leur puissance et lancèrent de terribles razzias sur les terres impériales. A sa mort en 881, Valérien laissa près de vingt prétendants au trône, lesquels s’affrontèrent durant sept longues années et achevèrent ainsi de diviser l’empire. Ses évidentes faiblesses encouragèrent les rébellions à l’intérieur même des territoires Issling et attirèrent l’attention des puissances voisines désireuses d’étendre leurs propres possessions, dont l’empire selvyen d’Hassling.

II - La Terreur Inrelith


Au début du premier millénaire, la population Inrelith était formée par un ensemble de tribus appartenant au même groupe racial et occupant les confins des steppes occidentales. Ces peuples nomades étaient régis par divers chefs et ce n’est qu’après leur union derrière un monarque unique qu’ils se muèrent en une force de guerre capable de conquérir la plus grande partie du monde connu. Les vieilles tribus chimériennes, Djatei, Sutubai, Erêkan et Haitan, avaient un long passé de conflits avec les royaumes selvyens et, par conséquent, ce sont les menaces d’invasion fréquentes de leurs ancêtres qui poussèrent ces derniers à former l’ordre de Vendal. Les farouches combattants Inrelith excellaient dans l’art de la guerre mais les jalousies et les dissensions entre les tribus les empêchèrent longtemps d’atteindre la puissance qui était la leur. Pourtant, un homme parviendra à réaliser l’unité Inrelith et, à partir de là, à projeter la puissance insoupçonnée de cette nouvelle nation au-delà de ses frontières encore incertaines, celui-ci se nomma Timur. Comment expliquer l’ascension foudroyante de cet homme parti littéralement de rien ? Car contrairement à nombre de conquérants historiques, Timur ne disposa d’aucun avantage, d’aucune armée, d’aucun nom célèbre, d’aucune nation, d’aucun pouvoir extraordinaire, d’aucune fortune. Il n’avait aucun modèle devant lui dont il pouvait s’inspirer, et aucune épopée qui eut l’ombre d’une influence sur lui. Son destin, il l’affronta seul. Après la mort brutale de son père, puissant chef de clan assassiné par les Erêkan, Timur fut chassé de sa tribu et trouva refuge dans un autre clan, y démontrant très jeune un courage à toute épreuve et un charisme entraînant. L’homme était implacable. Il n’abandonnait jamais rien ni personne, pas plus ses proches que ses adversaires. Ayant accédé au statut de chef après s’être arrogé un pouvoir local, il entreprit une campagne visant à soumettre les tribus voisines. Tout s’enchaîna rapidement. Auréolé de ses victoires, il reçut de son peuple lui-même le titre d’Ildar Khazar, le « souverain suprême » en Inrelith, en 1054 à ses trente-cinq ans.

VI - Histoire, Sixième Période : Le premier Age 30f8cd10


Ildar Khazar dut ses succès à son génie militaire et à son habileté politique. Il transforma des tribus désunies en une armée extrêmement mobile et superbement entraînée, capable de mener des raids rapides et précis. Cette armée redoutable était divisée en unités de dix, cent, mille et dix mille hommes qui pouvaient être facilement redéployées au cours d’une bataille. Ses succès, espacés à ses débuts, mais qui vont ensuite s’enchaîner à une vitesse croissante, provoquèrent un effet résonnant qui poussèrent ses armées à se lancer toujours plus loin et à frapper de plus en plus fort. Précédés d’une sinistre réputation de cruauté à l’égard des combattants et des populations qui avaient l’audace de leur résister, car selon la pensée d’Ildar Khazar, la violence des destructions était le seul moyen efficace de décourager les velléités de résistance chez tout ennemi potentiel, les Inrelith se rendirent maîtres de nations entières en bénéficiant de la reddition immédiate de leurs adversaires - non sans avoir exterminer au préalable des millions d’individus et raser villes et cités entières. Afin d’assurer la cohésion de son peuple, Ildar Khazar établit un code moral, le Yeger, qui affirmait le principe de souveraineté absolue, insistait sur la nécessité d’union des tribus composant la nation Inrelith, et qui faisait également office de code de loi prévoyant des sanctions sévères pour des délits même anodins. Ildar Khazar fit cela dit preuve d’une grande tolérance en matière religieuse, autorisant, voire encourageant, les cultes de Sola Invicta et du Sjorisme. En termes de politique extérieure, le Khazar orienta principalement ses ambitions vers les deux empires Selvyens, perçu comme étant les seuls obstacles à sa conquête de l’orient. En 1076, il décapita l’empire en massacrant l’ensemble de la noblesse Selvyenne à la bataille d’Ariana, et distribua les terres conquises à ses fils et ses vassaux, lesquels supervisèrent les invasions, chacune étant soigneusement pensée et préparée, de Yûrai, de Germania et de Tel Vatraen. A la mort d’Ildar Khazar en 1091, l’Empire fut ensuite divisé en quatre Khazarat, placés chacun sous l’autorité des quatre fils – Athéric, Sükh, Ekter et Nairan –  du Grand Monarque : le Khazarat de Tel Vatraen, qui s’étendait alors sur l’ensemble des territoires arrachés aux valysiens, celui d’Arsafu, qui concentrait Ben-Hur et une large partie de Yûrai, Ziangnu, amalgamant des territoires conquis aux Zeng Hi, et le Grand Khazarat, qui englobait l’Issling et l’Hassling selvyen.

En Yûrai, profitant de la décadence des Aryakides, les guerriers Inrelith semèrent la mort et la destruction sitôt après avoir abattu les deux grands empires occidentaux. Le « péril blond » qu’incarnaient les Teutons et les Selvyens fut facilement éclipsé par la menace représentaient les hordes d’Ildar Khazar. Depuis sa mort en 1091, l’expansion territoriale à laquelle aspiraient les seigneurs de guerre chimériens avait été temporairement suspendue et l’orient bénéficia d’un répit inespéré mais de courte durée car dès 1109, Sükh, fils bâtard du grand Khazar, rassembla avec ses deux jeunes frères, Ekter et Beg, les tribus Inrelith et envahissait le sultanat Sarozaar en nourrissant l’ambition grandiose de feu son père : accomplir l’exploit de conquérir l’orient. Sükh se révéla d’ailleurs être un homme singulièrement étrange. Passionné de philosophie et de sciences, recherchant la compagnie de gens de lettres, il se transformait, lui qui naguère était pétri de raffinement, durant les opérations militaires en bête sanguinaire transie de haine et avide de destruction. Son attitude en matière de religion était aussi contradictoire. Très influencé par le culte de Sola Invicta, - sa mère, sa femme préférée et plusieurs de ses collaborateurs étaient d’authentique adeptes -, il n’a jamais renoncé au culte traditionnel des Tréarques. Dans les territoires qu’il gouverna en orient, notamment en Yûrai, il se montra particulièrement tolérant à l’égard des religions autochtones, mais, emporté par sa volonté d’anéantir toute entité politique capable de s’opposer à lui, il mena contre les métropoles les plus prestigieuses de l’orient une guerre totale. Sa première cible fut Tixiana. Dans un premier temps, Sükh exigea au sultan aryakide, Nasser II, trente-neuvième de sa dynastie, de reconnaître la suzeraineté Inrelith comme ses prédecesseurs. Le prince des croyants, trop confiant en son prestige, envoya dire au conquérant que toute attaque contre sa capitale provoquerait la fureur du monde sarozaar, de Ben-Hur jusqu’aux portes de l’empire Zhongguo. Nullement impressionné, le fils d’Ildar Khazar proclama son intention de s’emparer de la ville par la force sitôt la réponse du souverain oriental lue. Avec, semble-t-il, des centaines de milliers d’hommes, il avança fin 1110, en direction de la capitale aryakide, détruisant tout sur son passage, notamment la dangereuse secte Nar-al-Seif où une bibliothèque renfermant des savoirs en magie d’une valeur inestimable fut brûlée. Prenant alors conscience de l’ampleur de la menace, le sultan voulut négocier. Il proposa à Sükh de prononcer son nom dans les basiliques et de lui décerner le titre d’Emir. Hélas, il était trop tard : l’Inrelith avait définitivement opté pour la manière forte. Après quelques semaines de résistance courageuse, le prince des croyants ploya le genou. En personne vint-il au camp du vainqueur et lui fait-il promettre d’épargner les vies des citations s’ils acceptent de déposer les armes. En vain : dès qu’ils ont été désarmés, les combattants sarozaar furent exterminés. Puis la horde chimérienne se répandit dans la prestigieuse cité, démolissant les bâtiments, incendiant les quartiers, et jamais, au grand jamais, l’on n’aurait pu côtoyer tant de bestialité, tant de haine, tant d’acharnement sanguinaire, tant de jouissance dans le massacre, la destruction et le sacrilège. Des vierges prêtresses furent violées sur les autels des basiliques avant d’être étranglées par des chimériens hilares, des monastères furent saccagés, des prêtres dépouillés de toutes dignités et forcés sous la menace d’une mort honteuse de piétiner les insignes religieux et de proclamer qu’ils adoraient Tywaaz le Maudit, alors que les manuscrits des bibliothèques alimentèrent d’immenses feux de joie autour desquels dansaient les guerriers ivres. Ce jour-là, Tixiana, sacrifiée en l’honneur de la déesse de la Luxure, sombra dans une orgie sanguinaire : pas un sanctuaire, pas un palais, pas une maison n’avait échappé au pillage, tandis que la population fut victime, dit-on, livrée aux « pratiques cannibales » de leurs conquérants. Nasser fut exécuté par pendaison quelques jours après le sac de sa capitale. La fin tragique de la dynastie Aryakide plongea le monde oriental dans l’effroi, car, désormais, il ne s’agissait plus d’une bataille pour le contrôle d’une ville ou d’un pays mais d’une lutte désespérée pour la survie. Ainsi, massacres et dévastations s’abattirent sur le peuple sarozaar, coupable seulement d’avoir tenu tête à ce conquérant sanguinaire venu du grand occident. Plus tard, les seigneurs sarozaar qui gouvernaient encore les diverses cités situées au centre de l’orient furent incapables d’endiguer ce flot. Certains d’entre eux se soumirent, songeant même à renier leur honneur et à embrasser le culte des Tréarques, comble du déshonneur. Jusqu’où iraient-ils ? Certains assuraient que pour porter le coup de grâce, les Inrelith allaient frapper au cœur de la civilisation sarozaar à Tsaahar, d’autres affirmaient que les chimériens avaient pour dessein d’exterminer le peuple tout-entier. Si les valysiens avaient au commencement adopté une position plutôt favorable face aux envahisseurs chimériens, des voix s’élevèrent rapidement parmi eux, horrifiés par la brutalité des Inrelith. Aussi, lorsque les derniers rois sarozaar leur proposèrent une alliance, leur réponse ne fut pas négative : en dépit qu’ils ne voulaient pas s’aventurer hors de leurs terres, ils acceptèrent de ravitailler leurs armées. Sükh n’avait d’ailleurs pas attendu la fin de sa campagne contre les sarozaar pour qu’il soit désormais acquit par tous que le Tsarat n’échappera pas aux dévastations. Celui-ci, conscient de la terreur qu’avait inspiré sa venue dans cette partie du monde, avait expédié un émissaire afin de demander la soumission inconditionnelle du Royaume Valysien, ce qui était évidemment inenvisageable. L’émissaire fut reçu, écouté, puis aussitôt décapité. Les Tsars qui régnaient au nord depuis des siècles reflétaient le durcissement et l’intransigeance d’un monde assailli de toutes parts. Ils se battaient par tous les moyens, et sans scrupules, sans gestes magnanimes, sans compromis, mais avec courage et efficacité. C’est en tout cas vers eux que se tournaient les regards parce qu’ils représentaient le dernier espoir d’enrayer la progression de l’envahisseur.  Ce fut le début de la guerre du Nord.

Dans le vaste domaine féodal des valysiens, les armées chimériennes menèrent des attaques rapides qui leur permirent de conquérir de vastes territoires en plein hiver, faits d’armes que nulle force militaire n’est parvenue à reproduire depuis. Ces raids, qui contribuèrent à désorganiser l’appareil militaire et économique du Tsarat, servirent d’entraînement à l’assaut final, durant lequel ils tirèrent parti du terrible froid valysien en traversant les fleuves gelés pour s’enfoncer plus en avant dans le territoire ennemi,  jusqu’à Khalkingrad où les Inrelith ravagèrent les campagnes et mirent à sac les cités se trouvant sur leur passage tout en massacrant les populations survivantes, notamment à Stanov en 1117. Forts de ces conquêtes, le fils cadet d’Ildar Khazar, Ekter, perfectionna l’outrage infligé aux seigneurs Valysiens en se couronnant lui-même « Tsar de toutes les Valysies » afin de discréditer ces derniers, faisant ainsi débuter le « siècle écarlate » durant lequel Tel Vatraen était un véritable champ de bataille tant les affrontements étaient permanents – et extrêmement violents. La plupart des guerriers chimériens du Tsarat Inrelith se replièrent ensuite dans le sud, dans la région de steppes, depuis laquelle fut organisée l’administration des territoires valysiens conquis. Les Inrelith nommèrent des collecteurs d’impôts tristement célèbres pour leur rapacité proverbiale, les Zashayev ou « les pillards » en langage valysien, lesquels étaient chargés de réunir les taxes dues par les principautés féodales et d’entretenir un climat de terreur propre à consolider le pouvoir de leurs maîtres. A la fin du XIIIe siècle, les guerres de succession, et les conflits persistants avec les seigneurs valysiens occasionnèrent de profondes fractures au sein du Khazarat de Tel Vatraen, qui aboutirent à son déclin. Progressivement, les envahisseurs furent repoussés jusqu’aux territoires situées aux marches occidentales de l’empire Zhongguo, où il firent souche dans les populations locales, donnant naissance à la race des Temûriens, nommés ainsi en l’honneur de feu leur ancêtre, Ildar Khazar.

Vers l’ouest, sous l’impulsion des généraux, l’armée chimérienne alla soumettre les territoires germaniques, et rien ne  semblait pouvoir l’arrêter dans son élan conquérant. Après avoir rasé la Valysie méridionale, Ekter avait divisé son armée en trois, la première frappant la Germanie septentrionale, la seconde la Germanie occidentale, et la troisième opérant une chevauchée meurtrière jusqu’au cœur du pays. Les armées des anciennes tribus, surprises par la férocité et la forte mobilité de leurs envahisseurs, furent presque entièrement décimées par le déferlement Inrelith, et ce en dépit d’une résistance acharnée et de l’ardeur des guerriers teutoniques, qui étaient moins habitués à être confrontés à des hordes  qu’à des armées organisées composées en majeure partie d’infanterie lourde. Au moment précis où les chefs Inrelith allaient porter le coup de grâce aux germains, la mort, avec ironie, s’invita dans leurs camps. La cause ? La peste. Malgré leur puissance, les Inrelith demeuraient des mortels. Et tant que mortels, ils étaient exposés à ces avanies auxquels les mortels en étaient les funestes victimes. Ainsi, contre toute attente, Germania était sauvée, ‘’in extremis’’, les commandants Inrelith voulant à tout prix déguerpir de cette terre maudite qui leur avait arraché tant de frères d’armes et qui les avait, d’une certaine manière, vaincu. Plus jamais Germania ne reverra ces redoutables guerriers fouler son sol.

Ayant ainsi délaissé à son frère, Ekter, la tâche de poursuivre la guerre contre les seigneurs-anges, Sükh Khazar, ainsi qu’il s’arrogea ce titre, se laissa soudainement entraîner par un intérêt de curiosité : il voulut connaître cette portion du globe qui s’étendait aux portes de l’orient, sur laquelle le monde ne possédait encore que des notions vagues : l’empire Zhongguo.  Cette pointe vers cette contrée mystérieuse s’apparenta moins à une conquête qu’à une exploration puisque tout tendit à prouver que Sükh ne rapporta de son expédition lointaine que le désir de vivre en paix avec des peuples qui, de par leurs doctrines et surtout à cause de leurs forces militaires, étaient à même de le repousser. Établir entre les deux mondes un grand courant d’échanges est une ambition à coup sûr très avouable et qui ne rabaissait en rien le caractère du grand conquérant, lequel repartit en Yûrai vers 1119, laissant à Nairan la conduite des opérations futures.

Nairan poursuivit les campagnes militaires et la construction du grand empire oriental, occupant de nouveaux territoires, soit par la force, soit par la menace. S’il se montra impitoyable et brutal, réprimant toute opposition et continuant à étendre son empire par la conquête, gagnant le surnom de « Nairan khüntsgii », ou « Nairan le Cruel », le plus jeune fils de la lignée d’Ildar rompit brutalement avec la politique d’expansion voulue par ses pairs. Qu’est-ce qui a pu motivé cet homme né au milieu de la barbarie et de la violence à renoncer à combattre ? L’un des édits les plus connus, appelé l’édit XIV sur une stèle, relata ce qui arriva alors :
« Dix ans après son couronnement, le roi des chimères ami des dieux au regard amical a conquis le Zunjiang. Deux cent mille personnes furent déportées ; cent mille y ont été tuées et plusieurs fois ce nombre a-t-il péri. Ensuite, maintenant que Zunjiang est pris, ardents sont l’exercice de la Loi, l’amour de la Loi, l’enseignement de la Loi chez l’ami des dieux. Le regret tient Nairan l’ami des dieux depuis qu’il a conquis le Zunjiang. En effet, la quête d’un pays indépendant, c’est alors le meurtre, la mort ou la captivité pour les gens ; pensée que ressent fortement l’ami des dieux, qui lui pèse. »

Les remords éprouvés par Nairan après ce massacre de masse et la déportation de tant d’hommes du Zunjiang se révélèrent sincères. Jusqu’à la fin de son règne en tant que Khazar de Ziangnu, il cessa toute campagne militaire supplémentaire, bien qu’il disposât, et de loin, d’une des plus puissantes forces armées au monde. Il aurait facilement pu s’immiscer dans le conflit qui opposait son frère aux Valysiens et imposer sa domination, mais il n’en fit rien. On ignore encore le moment exact où Nairan épousa les doctrines religieuses du pays qu'il avait conquit, et peut-être le fit-il même avant la guerre qui l’opposa aux territoires frontaliers de l’empire Zhongguo. A partir de cet instant, il n’eut de cesse d’appliquer les enseignements de Vaarma. Il régna sur les peuples qu’il avait conquis avec tolérance et bienveillance, cessa même de chasser les bêtes sauvages, répercutant sa nouvelle compassion sur tout être vivant. Si cette nouvelle approche était non-violente, elle n’était cependant nullement passive et, tandis qu’il n’utilisait dès lors plus la violence ou l’intimidation pour répandre sa foi, Nairan fit tout ce qui était en son pouvoir pour le promouvoir au sein de son empire et dans certaines régions au-delà de ses terres. Il envoya son fils aîné, Ahin, au pays Zhongguo, où selon les chroniques Vaarmistes, il convertit tout d’abord l’empereur et la reine puis propagea plus largement la foi au sein de la population Zeng Hi. Des missionnaires furent dépêchés pour remplir la même mission, répandant la voie de Vaarma bien au-delà du Zunjiang d’où il était originaire, ce qui conduisit certains à voir en Nairan la figure la plus importante de la foi.

En 1123, Athéric Khazar reçut le titre de Grand Khazar des Inrelith après avoir triomphé des longues et violentes luttes de succession subséquentes à la mort de son père, Ildar. Il établit la capitale de son empire à Selvya, renommé « Selvyûsei » et, ce faisant, fondit la dynastie Ethérius, unique et dernière lignée d’Empereurs aux origines étrangères, devenant de fait le premier monarque Inrelith à régner sur l’ensemble de l’Occident. En dépit de leur acceptation de la religion et de la culture selvyenne, et de leur poursuite des immenses travaux d’infrastructure entrepris par les empereurs de la dynastie Volanaro, dont la construction de la gigantesque académie d’Aralfyr, Athéric et ses descendants ne furent jamais appréciés par le peuple. Par conséquent, la dynastie Ethérius développa une politique répressive qui restreignit les libertés individuelles et qui s’attachait à réduire les prérogatives concédées aux nobles et ce, afin de limiter leurs autonomies et par là-même les risques potentiels de rébellion généralisée. En outre, l’élite Inrelith occupant les fonctions des institutions impériales, qui étaient ordinairement et légitimement attribués aux membres des vieilles aristocraties, refusa presque tout mélange avec la population autochtone, allant jusqu’à mépriser l’usage de la langue locale, ce qui empêcha toute communication avec la grande majorité des habitants placés sous leur autorité. Les quelques rares selvyens de l’administration ne pouvaient guère plus établir de relations constructives avec leurs supérieurs chimériens, provoquant frustrations et rancoeurs. Malgré cela, Athéric et ses successeurs adoptèrent progressivement certains aspects de la culture selvyenne, encourageant notamment l’expansion du Sjorisme et du culte de Sola Invicta – afin d’affirmer l’autorité qui émanait de la nouvelle élite rassemblée autour de la personne de l’empereur. Cette acculturation graduelle des empereurs Ethérien contribua à la dislocation de l’empire qu’avait édifié Ildar Khazar et, en 1270, l’émergence de la dynastie Solaris signifia la fin de l’emprise Inrelith sur l’Occident.

De cet héritage divisé, le Khazarat portait en lui les premiers signes de sa mort. Si dans l’immédiat, l’on ne vit poindre aucun nuage menaçant à l’horizon, la succession à la tête du grand Khazarat s’avéra compliqué. L’avenir de l’empire se décidant sur la descendance immédiate d’Ildar Khazar, qui a engendré quatre fils, son démembrement fut hélas inévitable malgré les convictions de son fondateur qui, jusqu’à l’article de sa propre mort, restait convaincu par l’idée d’un Grand Khazarat. L’illusion avait été d’autant plus aisée qu’à la fin de son existence, son œuvre étant en pleine expansion. Cependant, ces campagnes couronnées de succès sur le plan militaire eurent des conséquences fâcheuses sur l’avenir de l’empire dans la mesure où ces dernières fournissaient aux guerriers une source aussi intarissable qu’excessive de prestige susceptible de leur accorder des prétentions légitimes au pouvoir absolu. Simplement dit, chaque changement de dirigeant occasionnait, sempiternellement, d’âpres luttes entre les divers prétendants, luttes fréquemment arbitrées par les femmes qui assumaient la régence tout en s’activant au profit de leur lignée. En effet, les longues absences des hommes donnèrent aux femmes, jusqu’ici reléguées au rang réducteur de reproductrices, l’opportunité de gouverner les empires, tâches dont elles s’acquittaient avec un sérieux qui commençait à faire défaut aux hommes. Leur ascension entraîna également d’âpres luttes d’influence qui eurent à nouveau pour effets de fragiliser les piliers sur lesquels reposaient les Etats Inrelith au profit de leurs dirigeantes. Ainsi les luttes de pouvoir intervinrent-elles sur deux domaines parallèles : aux hommes étaient assignés le théâtre militaire, aux femmes la scène politique. Ces guerres de succession s’accompagnaient de surcroît d’une paralysie des engagements militaires qui avaient tendance à s’éterniser à cause des intrigues politiques susmentionnées, lesquelles consommaient toutes les forces vives. En conséquence, chacun convoitant le pouvoir suprême, l’époque vit ce pouvoir se polariser progressivement autour des quatre empires, provoquant des remous de haines et de ressentis.

III - La chute

1270 fut une année charnière. La dynastie Etherius, confrontés à de pesantes menaces structurelles, fut incapable de contrecarrer la Grande fronde menée par la vieille noblesse lassée du pouvoir tyrannique qu’elle exerçait. Les Inrelith occidentaux n’avaient jamais pu masquer le caractère fondamentalement colonial de leur entreprise et, malgré certaines apparences trompeuses, leur légitimité était fondée sur la force. La militarisation de la société selvyenne dont ils avaient été les vecteurs se retourna à terme contre les dirigeants avec l’émergence de chefferies locales et régionales qui s’organisèrent en mouvements de rébellion ouverte. Par ailleurs, de violents conflits internes minèrent le pouvoir central et les hivers exceptionnels poussèrent des centaines de millier de paysans aux abois dans les bras des insurgés. Tout ceci fit pencher la balance en faveur des Etats rebelles qui vainquirent l’armée impériale en 1269. Incapable de mettre un terme aux rebellions, le dernier empereur des Inrelith, Akkan, périt, assassiné dans son sommeil, son fils et unique héritier étant contraint de s’enfuir vers l’orient.

Quelques années seulement après la chute de la dynastie Etherius, les sarozaar de Ben-Hur, menés par un Emir du nom de Nebuhadnissar, profitèrent de la déliquescence du Khazarat de Yûrai pour prendre d’assaut les dernières forces chimériennes défendant le trône du Khazar. La bataille d’Alesh Kanzarai qui s’ensuivit fut l’épée qui réduisit en miettes les dernières prétentions des Inrelith à dominer le monde connu. L’issue de l’affrontement fut déterminée par les choix stratégiques des sarozaar qui, au lieu d’attendre leurs assaillants, allèrent à leur rencontre et tentèrent avec succès de leur refuser le combat rapproché. Les mages sarozaar, capables de combattre à distance, s’imposèrent face aux chimères, lesquelles s’usèrent dans des charges successives que les guerriers du désert encaissèrent les unes après les autres. Cette première défaite en annonça d’autres. Leur chef tué, les Inrelith perdirent soudainement tous leurs moyens et, malgré l’arrivée d’un corps expéditionnaire, ne purent éviter la débandade. Ce premier échec en annonça d’autres, d’autant que l’armée Inrelith naguère si redoutable avait été radicalement dominée et même franchement dominée par le fin tacticien qu’était Nebuhadnissar, lequel après remporté ce haut-fait, fut sacré sultan. Celui-ci, sitôt auréolé du prestige d’avoir vaincu les seigneurs des steppes occidentales, adopta des mesures persécutrices à l’égard des populations Inrelith, lesquelles furent dans un premier temps marginalisées avant d’être exterminées.

Les royaumes Inrelith demeurés nomades ou semi-nomades connurent d’autres fortunes. En Valysie, l’emprise des Inrelith se résuma à une question de rapports de force entre l’envahisseur et les peuples assujettis, et il n’y eût jamais de phénomène d’intégration, d’alliance ou d’absorption – la haine mêlée de dégoût que se vouaient conquérants et conquis rendit toutes unions, toutes alliances, tous métissages éventuels impensables.

Au Xunjiang, le royaume que fondit Nairan Khazar, qui reposait sur un idéal de paix et de non-violence, fut en proie aux affres de la dissension, nombre d’Inrelith rejetant cette doctrine qu’ils considéraient comme un grave affront à leurs coutumes ancestrales. Une scission s’opéra entre les chimériens vaarmistes, qui édifièrent les fastueuses cités de Tlanka, et les chimériens adeptes du culte des Tréarques, lesquels rejoignirent leurs frères d’armes dans les steppes situées au sud dans le dessein de conserver leur emprise, déjà fort contestée, sur les territoires valysiens et sur les slaves, formidables esclaves corvéables à souhait, qui y vivaient là. Hélas, conséquence de l’irréversible défaite du dernier empereur du Khazarat d’Arsafu, le Khazarat de Tel Vatraen se balkanisa puis agonisa durant de longues décennies. Les valysiens, dont le ressentiment à l’égard des Inrelith étaient à la mesure des exactions subies durant le siècle écarlate, se délectèrent de leur revanche jusqu’à nos jours en organisant de fréquentes battues dans le Xunjiang, pour les simples plaisirs de la chasse.

Triste épopée que fut celle des Inrelith, tout à la fois fantastique et inachevée, qui vit l’audace inouie de ses architectes s’accompagner d’une extraordinaire cruauté envers les nombreux peuples qu’ils subjuguèrent, sans parler de ceux qu’ils exterminèrent à tout jamais. En un sens, on pourrait presque dire que sa durée était inversement proportionnelle à l’espace territorial investi. Jusqu’au bout de leur aventure impériale, l’ombre d’Ildar plana ainsi au-dessus du peuple des steppes. Ceux-ci, écrasés par l’ampleur de la tâche et le poids de la légende, sombrèrent les uns après les autres dans l’inévitable violence autodestructrice qui s’attacha à ces entreprises conquérantes tous aussi éphémères que spectaculaires. Car dépourvu d’un solide point d’ancrage, leur empire devait s’écrouler. Pour les descendants d’Ildar, leur percée eut cela dit pour effets notoires de revitaliser les nations sarozaar et  germanique, d’unifier l’Imperium Selvyen et de fournir aux valysiens l’énergie du désespoir qui leur permit de rompre avec l’isolationnisme puis de s’étendre. Ailleurs, l’histoire Inrelith fascine tout autant qu’elle interpelle tant elle déroge aux lois universelles de la conquête. Qui étaient ces guerriers ? Des marginaux !  Mais ces marginaux ont su marquer durablement de leur empreinte la conscience collective des Océaniens !