1 - l’Anarchie (10 000 av-Si)

Traumatisés par la tyrannie qu’exerçaient les Dieux, les révolutionnaires ne voulaient plus entendre parler d’autorité et estimaient qu’en dehors de l’ancienne société, les Hommes étaient naturellement bons et qu’ils étaient capables de vivre en harmonie. Ce sera une grave erreur. A mesure que la terre transmettait de plus en plus parcimonieusement ses ressources, les êtres humains se firent avares et cupide et méprisèrent l’intérêt collectif et le vivre-ensemble qui furent tous les fondements sur lesquels reposait la société de jadis. Comme à l’époque des dieux, cela débuta par des conflits privés, des guerres entre factions, avant de s’étendre doucement aux conflits entre bourgs et grandes villes pour ensuite aboutir à des guerres raciales. En l’absence d’autorité pour régir les populations, l’humanité sombra dans le chaos. La morale égalitariste devint même une chimère. Autrefois homogène, le monde se fragmenta en des milliers et des milliers de factions, chefferies, petits royaumes, menés par des dirigeants désignés pour leurs compétences et par leur peuple, qui s’entre-déchirèrent.

2 - La fin justifie les moyens (8 000 av-Si)

« Quand mon règne viendra, je ne laisserai échapper aucune occasion de comparer les avantages de notre gouvernement aux régimes politiques du passé. Nous mettrons bien en relief les erreurs des gouvernements de nos prédécesseurs ; nous soulèverons contre eux un tel dégoût que les peuples préféreront la tranquillité et la paix dans l'esclavage aux droits de la fameuse liberté qui les a tant martyrisés durant des siècles et qui a épuisé les sources mêmes de l'existence humaine, sources qui furent exploitées par une foule d'aventuriers ignorant. Alors, les peuples seront si las des changements de régime qu'ils préféreront accepter tout ce que nous leur imposerons plutôt que courir le risque de subir les affres de la misère, d'autant que nous insisterons surtout, dans nos critiques publiques, sur les erreurs des anciens qui ont fait souffrir l'humanité pendant des siècles, parce qu'elle ne comprenait pas le vrai bonheur et allait constamment à la recherche d'améliorations sociales fantaisistes, sans s'apercevoir que ces améliorations, tout en procurant du bien-être à quelques-uns, étaient nuisibles à l'ensemble et au bon ordre du régime, qui est en somme la base même de l'existence humaine. Nos principes et nos mesures auront à leur actif le fait qu'ils seront interprétés et présentés comme faisant contraste avec l'ancien régime pourri des temps passés ! »

Au temps où les peuples considéraient leurs souverains comme une pure manifestation de la volonté de la nature, ils se soumettaient sans murmurer à l'autorité des monarques, mais le jour où il fut suggéré la notion de leurs propres droits, ils commencèrent à considérer leurs souverains comme de simples mortels, l'onction sacrée cessant d'être regardée comme naturelle par le peuple auquel toute foi avait été ôtée. Puisque la croyance envers les Dieux avait été ébranlée durant l’ère des hommes, le pouvoir fut jeté au ruisseau et devint une propriété comme toutes les autres. L’art de gouverner les masses et les individus au moyen de théories, d’envolées lyriques, de soi-disant préceptes de vie sociale, d'étiquettes et de toutes sortes d'artifices dont le commun des mortels ne pouvaient saisir ni les sinuosités ni comprendre le but, fut l’une des particularités d’un génie administratif nourri d'analyses, d'observations et de telles subtilités de raisonnement que, dans son domaine, il ne pouvait avoir de rivaux non plus que dans celui de l'élaboration des plans politiques. Il se nommait Jaiseric et, par ses actions, marqua un tournant dans l’histoire.

III - Histoire, Troisième Période : l'Ere de l'errance 1513552356-e3ff2d01260415d3046418bda7f2348d

Car les gens aux instincts mauvais, selon Jaiseric, étaient plus nombreux que les individus aux nobles instincts, l’usage de la violence et de l'intimidation produisait ostensiblement de meilleurs résultats que l’emploi de discours et dissertations convaincantes lorsqu’il était question d’assurer la cohérence d’une société. Tout homme, aux yeux du roi Jaiseric, aspirait au pouvoir. Il en était peu qui ne deviendraient pas rois s'ils le pouvaient, et bien rares sont ceux qui ne seraient prêts à sacrifier le bien général à leurs intérêts personnels. Après tout, qu'est-ce qui a contenu et dirigé ces bêtes de proie qu'on appelle les hommes ? Aux premières époques, ils se soumirent à la force aveugle et brutale des Dieux, ensuite à leurs lois qui, elles aussi, étaient une force, mais une force dissimulée et retors. Il conclut dès lors que, par la loi de la nature, le droit résidait dans la force et qu’une savante manipulation faciliterait son exercice. La liberté politique des temps anciens fut reléguée au rang d’idée chimérique, et n’était désormais plus une réalité. Il fallait cela dit savoir appliquer cette idée quand il était nécessaire d'attirer, au moyen d'un appât idéaliste, les êtres humains, si ceux-ci se révoltaient. Cette tâche se trouvait d’autant plus facilitée lorsque les adversaires étaient pénétrés par les idées d’absolutisme et d’autorité ; c'est par là que triompha l’autorité du roi : en vertu de la loi de la vie, les rênes du gouvernement, à peine relâchés, étaient aussitôt saisis par d'autres mains qu’il guidait de lui-même,  puisque la force aveugle du peuple ne pouvait exister un jour sans maître et que le nouveau pouvoir ne fit que remplacer l'ancien. A cette époque, la puissance de l'or – c'est-à-dire celle de Jaiseric – remplaça le pouvoir des anciens rois, qui se substituèrent aux « républiques » qu’il édifia de sa main, où l’idéal de liberté fut obscurci, parce que personne ne savait en user avec une juste mesure. Il suffisait enfin de laisser le peuple se gouverner lui-même pendant quelque temps pour que cette liberté se transforme aussitôt en licence ; et dès lors naissaient des dissensions qui ne tardaient pas à dégénérer en guerres sociales, dans lesquelles les États se consumaient et où leur grandeur se réduisait en cendres. Qu'un État s'épuisait dans ses convulsions intestines ou que les guerres civiles le mettaient à la merci des ennemis extérieurs, il peut, dans l'un et l'autre cas, être considéré comme irrémédiablement perdu. Jaiseric en avait conscience et plutôt que de s’employer à modeler l’humanité selon leurs vues, s’évertua à la traiter telle qu’elle était véritablement, c’est-à-dire, servile et viscéralement égoiste. Pour conserver son pouvoir caché, et afin que les hommes n'aient ni le temps de réfléchir ni le temps d'observer, Jaiseric les orienta vers l'avidité du gain, au moyen du commerce. C’est à cette époque que le terme « industrie » fit son apparition. Les individus et les nations cherchèrent ainsi leurs propres avantages et, engagés dans un monde globalisé de plus en plus compétitif, nul ne s’aperçut de celui qui les exploitait. Pour que la liberté puisse se désagréger et avillir les sociétés, il fallut faire de la spéculation la base de l'industrie ; il en résulta que les richesses produites par l'industrie passèrent à la spéculation, c'est-à-dire qu'elles serviront à remplir les coffres-forts du grand Monarque, puisque tous les fils de la spéculation étaient entre ses mains. En définitive, la lutte intense pour la suprématie politique, et les secousses économiques créèrent des sociétés désenchantées, avides, sans cœur, dégoûtées de la politique et de la morale, dont le seul guide fut le calcul et la productivité. Elles éprouvèrent pour l'or et l’argent un véritable culte, à cause des jouissances matérielles qu'ils procuraient, et c'est par là que l’humanité toute entière tomba dans l’esclavage soigneusement orchestré par Jaiseric.

3. La primauté de la naissance (7800 av-Si)

Au cours des époques qui traversèrent l’histoire d’Océania, et probablement depuis le début de l’âge Mythologique, existaient trois classes : la classe supérieure, qui regroupait l’élite, la classe moyenne, qui réunissait les individus intermédiaires, et la classe inférieure qui englobait la plèbe et les masses. Elles furent subdivisées de multiples façons et portèrent d’innombrables noms différents, la proportion du nombre d’individus que comportait chaque catégorie, aussi bien que les attitudes les unes vis-à-vis des autres, ont varié d’âge en âge. Mais la structure essentielle des sociétés n’a jamais varié. En effet, malgré d’énormes poussées et des changements apparemment irrévocables, la même structure s’est toujours rétablie, exactement comme un gyroscope reprend toujours son équilibre, aussi loin que l’on le pousse d’un côté ou de l’autre.

La division du monde en quatre grands Etats principaux, en quatre grandes oligarchies autoritaires, fut un événement consécutif aux sociétés façonnées par Jaiseric. Avant l’absorption d’Issling par les ancêtres des Inrelith et d’Hassling et de Ben-Hur par les Sarozaar, deux des quatre grandes puissances actuelles furent plus ou moins constituées, et se nommaient Zarjager et Almarkaz. Les deux autres, Haelfnir, qui amalgamait Reyksavia, Germania et les îles de Britannia, et Stalakanov qui rassemblait le domaine de Tel Vatraen, le Zhengguo, l’Altylée, le Dai Yamato ainsi que les îles situées au nord et à l’ouest d’Australis, laquelle était également une de ses possessions, n’émergèrent en tant qu’unités distinctes qu’après des décennies de luttes confuses. Les frontières entre les quatre super-Etats furent cela dit, en quelques endroits, arbitraires. En d’autres, elles variaient suivant la fortune, et les aléas, de la guerre mais elles suivent en général les tracés géographiques. C’est à cette époque que les Valysiens firent leur apparition.

Groupés d’une façon ou d’une autre, tantôt alliés, tantôt ennemis, ces quatre superpuissances se firent la guerre en permanence durant des siècles. La guerre, cela dit, avait vu sa définition modifiée. Elle n’était plus, comme à l’époque de la Grande fronde, la lutte désespérée jusqu’à l’anéantissement. C’était désormais un conflit dont les buts étaient limités, entre armées et combattants incapables de se détruire l’un l’autre, qui n’avaient ni de raison matérielle de se battre et ni de différence idéologique véritable. Cela ne signifiait pas pour autant que la conduite de la guerre ou l’attitude dominante en face d’elle était moins sanguinaire ou plus chevaleresque. Au contraire… l’hystérie guerrière était continue, universelle dans toutes les nations, et le viol, le pillage, le meurtre d’enfants, la mise en esclavage des populations, les représailles contre les prisonniers qui allaient même jusqu’à les faire bouillir ou à les enterrer vivants étaient considérés comme triviaux. Commis par des partisans, c’étaient des actes méritoires. Commis par des ennemis, c’étaient des crimes abominables. Matériellement, la guerre engageait un nombre minime d’individus qui étaient surtout des guerriers particulièrement entraînés et, comparativement, causaient peu de morts. Les batailles, lorsqu’elles étaient provoquées, avaient lieu sur les vagues frontières dont l’homme moyen pouvait seulement deviner l’emplacement, ou autour des citadelles célestes qui sécurisaient les positions stratégiques des routes maritimes. Dans les centres civilisés, la guerre signifiait surtout une diminution continuelle des produits de consommation. L’ordre d’importance des raisons pour lesquelles la guerre était engagée avait changé. Des motifs qui existaient autrefois, mais dans une faible mesure, lors des grandes guerres des époques de l’Anarchie ou de la Grande fronde, furent partiellement maintenus. Pour comprendre le caractère de la guerre à cette époque, il fallait tout d’abord réaliser qu’il était impossible qu’elle soit décisive. Aucun des quatre empires ne pouvait être définitivement conquis, quand bien même les trois autres s’uniraient pour l’abattre. Les forces étaient trop également partagées, et les défenses naturelles formidables : le Stalakanov était protégé par ses vastes étendues de terre ainsi que par la fécondité et l’habileté de ses habitants, l’Almarkaz par ses vastes déserts, l’Haelfnir par les mers elles-mêmes et le Zarjager par les steppes et la férocité des Inrelith.

Qui plus est, il n’y avait plus, au sens matériel, de raison de se battre. Avec l’établissement des économies intérieures dans lesquelles la production et la consommation étaient égrenées l’une dans l’autre, la lutte pour les ressources, qui l’était l’une des principales causes des guerres antérieures, a disparu. Autrement dit, la compétition pour les matières premières n’était plus une finalité. Chacun des quatre super-Etats étant si vaste qu’il pouvait obtenir en son sein tous les matériaux qui lui étaient nécessaires. Pour autant que la guerre avait un but directement économique, celui-ci consistait dès lors à augmenter sa main d’œuvre. C’est donc en partie pour la possession de certaines régions surpeuplées en orient et en occident que les quatre puissances étaient en guerre. En pratique, aucune puissance n’eut régit jamais la surface entière d’un espace disputé, car des portions de cette surface changeant constamment de main, et c’était la volonté de s’emparer d’un fragment ou d’un autre de ces pays par une soudaine trahison qui dictait les changements sans fin des alliances. Tous les territoires disputés contenaient des minéraux de valeur et quelques-uns fournissaient des gisements de valeur, des ressources énergétiques, d’importants produits végétaux aux propriétés remarquables, dont il était nécessaire, dans les pays les plus froids, de synthétiser par des méthodes comparativement onéreuse. Mais, surtout, sur leur surface habitait une réserve inépuisable de main d’œuvre bon marché. Pour ainsi dire, les puissances qui opéraient en Orient disposaient de vingtaine voire des centaines de millions d’esclaves qui travaillaient durement pour des salaires de miséreux, et qui, réduits plus ou moins ouvertement à la servitude, passaient continuellement d’un maître à un autre.
Terrifiant ? Dès le moment de la parution de la parution de la première machine, il fut évident, pour tous les penseurs, que la nécessité du travail de l’homme et, en conséquence, dans une grande mesure, de l’inégalité humaine, allait disparaître. Si la machine avait été délibérément employée dans ce but, la faim, le surmenage, la malpropreté, l’ignorance et la maladie pourraient être éliminés après quelques générations seulement. En effet, alors qu’elle n’était pas employée dans cette intention, la machine, en produisant des richesses qu’il était parfois impossible de distribuer, éleva réellement de beaucoup par une sorte de processus automatique le niveau de vie des humains. Hélas, l’accroissement général de la richesse menaçait de déclencher la destruction des sociétés hiérarchisées. Puisque devenue générale, la richesse ne conférait plus de distinction, la masse des êtres humains abrutie par la pauvreté pourrait ainsi s’instruire, maîtriser les différentes magies, et enfin s’apercevoir que la minorité privilégiée n’avait peut-être plus de raisons d’être. L’aristocratie était constituée de mages, de savants, de combattants, de bureaucrates et de politiciens aguerris formés et réunis par le monde stérile du monopole industriel et du gouvernement centralisé. Contrairement aux élites d’autrefois, ils étaient moins avares, moins tentés par le luxe ; plus avides de puissance pure et, surtout, plus conscients de leurs actions, plus résolus à anéantir toute opposition. En résumé, les quatre grands Etats se livraient une guerre éternelle afin de freiner toutes avancées sociales, scientifiques et techniques, et maintenir les peuples au niveau de subsistance et de docilité de sorte à ce que les éliites puissent conserver, et surtout, exercer leur pouvoir.

En ces temps, l’atmosphère sociale était celle d’une cité assiégée dans laquelle la possession d’un morceau de viande constituait la différence entre la richesse et la pauvreté. La conscience d’être en guerre, et par conséquent d’être en danger, fit que la possession de tout le pouvoir par une petite caste semblait être la condition naturelle et inévitable de survie…

4. La Grande peste Khalnata ( 7600  av-SI)

Une tragédie. Voilà ce qui se produisit. Néanmoins, la folie de l'homme responsable de cette tragédie n'eut d'égal que le triste monde qui l’avait vu naître. Car, cet homme, avant d'être celui qui fit trembler le monde, était un médecin. Alors comment ce médecin a-t-il pu créer l'horreur ? Nul ne le sait, bien que l’hypothèse de l’intervention « divine » soit désormais envisagée. Quoiqu'il en soit, sa folle ambition d’allonger l’espérance de vie de l’Homme lui permit d'accéder au pouvoir, une folle ambition qui, très vite, devint un cauchemar pour les habitants d’Océania. Par un malheureux concours de circonstances, il était devenu le créateur de ce que les infortunés vivant en cette ère nommèrent la « peste de la non-vie » : les malheureux infectés par cette horreur étaient condamnés à se transformer en morts-vivants avides de sang et de chairs fraîches. Nul ne sait également où cette peste prit naissance mais, selon les archives, les armées de l’empire d’Haelfnir auraient colporté la maladie depuis la Germanie occidentale jusqu’en Yûrai, à partir d’où elle se propagea à travers le monde, dévastant cités et campagnes. Les vecteurs principaux de l’épidémie fut vraisemblablement les rats, les cadavres, les infectés eux-mêmes, et l’eau. Outre ceci, la maladie se déclina en deux autres pestes : la peste pulmonaire, qui rongeait le système respiratoire, et la peste septicémique qui viciait le sang. Pandémie qui ne fut guère prise au sérieux à ses débuts et qui devint une véritable calamité où un mari infecté n'hésitait pas à arracher le cœur de sa femme pour le dévorer et où une mère apaisait sa faim en se repaîtrant de ses propres enfants, sa propagation fut facilitée par l’état de malnutrition dont souffrait la majeure partie de la population océanienne, puis exacerbée par les crises économiques et structurelles frappant les quatre grands Etats. Ces derniers, impuissants à endiguer l’infection, basculèrent aussitôt dans le chaos et implosèrent, en même que temps que se multipliaient d’étranges catastrophes qui aboutirent au « Grand Hiver », lequel se prolongea pendant plusieurs millénaires... On estime aujourd’hui qu’à cause de cette catastrophe, l’ensemble des acquis scientifiques et techniques obtenus il y a des siècles disparurent et que l’humanité frôla l’extinction.