[Issling, Isthmös occidental - Ozgë]Encore une fois, c'est dans la lenteur et dans la nonchalance que l'inrelith ouvrait les yeux. En réalité, Ozgë se disait "encore une fois", mais elle n'avait aucune idée de combien d'heures ou de jours ont put s'écouler depuis sa capture. Elle se redressa de manière à se retrouver assise contre sa cage, se frottant les yeux afin de mieux pouvoir voir ce qui l'environnait. Le chariot était toujours en mouvement alors que le soleil semblait indiquer qu'il était bientôt midi. Poussant un long soupir, elle croisa les bras en regardant dans le vide, sans réel intérêt.
Malgré sa volonté de résister, la jeune femme avait rapidement cédé à l'emprise que la faim avait sur elle. C'était une torture, une punition qui lui était infligée pour avoir été là au mauvais endroit au mauvais moment. Quand elle se résigna à se repaître de cette bouillie, elle restait sur cette idée qu'elle subissait un châtiment. Mais pourquoi ? Quel crime avait-elle put commettre, sinon celui de faire partie du peuple de la grande steppe ? Ozgë ne se voilait pas la face, elle se savait fautive. En mangeant ce pauvre repas qui n'en méritait même pas le nom, elle se revoyait, dans une poussée d'adrénaline qui lui infligeait la volonté de survivre, planter violemment ses grandes griffes dans le corps de cet homme, de ce chasseur. Lui-même faisait parti de cette absurde mascarade ou nombre de ces étranges êtres peuplant cette forêt ont perdu la vie. Alors peut-être que dans un sens, oui, il méritait ce châtiment. Mais cette pensée ne parvenait pas à laver Ozgë du sentiment de dégoût qui l'habitait. Dans la tribu, on dit souvent que tuer est un grand honneur et qu'on ne se sent jamais mieux accompli en tant qu'être humain après avoir arraché la vie d'un autre lors d'un glorieux combat. Pour elle, son attaque surprise n'avait rien eu de glorieux, et tant bien même elle l'aurait affronté à la loyale et aurait fauché sa vie tel qu'elle l'avait fait, elle savait qu'elle se serait dotée du même sentiment immonde. Non, prendre une vie n'avait rien de plaisant.
Une autre question la turlupinait alors que son regard se posa sur les autres prisonniers à ses côtés. Tous étaient, sans exception, des membres de ce peuple sylvain incapables de parler comme la majorité des hommes, et avec qui elle avait été capturée. Du point de vue d'Ozgë, ses capteurs semblaient l'avoir confondue avec l'un d'entre eux, personne n'ayant apparemment vu et remonté son apparence chimérique, et donc, son identité inrelith. Souhaitant conserver cela en pensant que cela pourrait éventuellement l'aider, elle n'ignorait pas la haine qui été vouée à son peuple et se disait que ne pas divulguer sa réelle appartenance ne pouvait que lui être bénéfique. Aussi ne parla-elle jamais, même si elle comprenait le Selvyen du conducteur de chariot ou des gardes qui lui servaient d'escorte, ne répondant qu'avec de pâles imitations des bruits qu’émettaient ses camarades d'infortune.
Jamais n'eut-elle l'occasion d'obtenir de la part des gardes, relativement silencieux, une idée d'où elle allait, ou de ce qui allait advenir d'elle. Aussi, se basant sur les quelques mots qu'elle put entendre au tout début du voyage, elle se préparait au pire. L'esclavage serait une chance et bien préférable à une autre profession à laquelle elle espérait profondément échapper.
[Hassling, Arkaelis - Kandos de Apolla]Une manche se finissait tandis qu'une autre commençait. Remettant les dés dans le gobelet, bouchant l'entrée à l'aide d'une main et se servant de l'autre main pour tenir l'extrémité et soulever l'objet en l'air, il le secoua à nouveau avant de retirer sa main pour laisser tomber les dés qui roulèrent sur le tapis de jeu posé sur la table autour de laquelle s'étaient assis les deux joueurs dont le duel était observé par trois autres curieux gaillards patientant en s’abreuvant de leurs choppes de bière. Analysant ce qu'il résultat de ce hasard complet, le premier lanceur tria les dés en fonction de ce qu'il en avait obtenu en les plaçant près de lui, de son côté de la table. Son adversaire lança à son tour un autre set de dés, différents de par leur couleur noire. Visiblement, la chance ne lui sourit pas puisqu'il frappa la table de colère en même temps que des rires se fassent entendre et que les précieuses pièces d'or mises en jeu passent de l'autre côté. Un simple jeu pour passer le temps, de quoi occuper la galerie, le poker de dés était devenu un réel pilier de cette "entreprise".
La pièce qu'ils occupaient se trouvait être une très grande chambre (du moins, qui devait en être une) réarrangée en quartier-général, un véritable repaire où armoires et présentations murales avaient été changées par des râteliers et des présentoirs d'armures. Au centre de la salle, deux grandes tables rondes que se partageait la petite dizaine d'hommes alors présents. Les anciens soudards se trouvaient en réalité à l'étage d'une taverne qui était désormais leur repaire. Après une dernière campagne en Yûrai, sous les conseils et la supervision de l'un d'entre eux, ils étaient venus, ou revenus pour certains, à Arkaelis, en quête de trouver de quoi gagner leurs vies maintenant qu'être mercenaire était devenu plus que précaire. En se cotisant, ils s'étaient arrangés avec l'ancien propriétaire de l'établissement qui accumulait les impayés et qui avait de grande difficultés à rembourser ses dettes. Avec un arrangement à l'amiable, le tavernier restait en quelque sorte maître de son auberge, s'arrogeant le droit de pouvoir rester derrière son comptoir, et ce groupe d'ancien mercenaires avait un endroit où vivre et se réunir en attendant qu'un travail se présente ou que leur chef soit sollicité et décide de passer aux choses sérieuses.
Ce chef, il était également présent. Kandos était près de ce bureau improvisé qui lui permettait de rendre les choses un peu plus formelles. Confortablement assis contre sa chaise, la tête penchée en arrière, il se tenait immobile et plaçait sereinement sa confiance en l'un de ses frères d'armes qui s'occupait de lui faire un rasage de près pour lequel il avait opté. Kandos n'était pas un client pénible, ne se plaignant pas, ne parlant pas et ne s'agitant pas dans tous les sens, en échange il bénéficiait d'un barbier compétant qui ne manquait pas de précision et qui possédait assez de vigilance pour ne pas faire de faux mouvement qui entraînerait une coupure. Entre ces diverses occupations de rasage, de jeux de cartes et de dés, et d’aiguisage d'épées et de haches, l'ambiance de camaraderie pouvait rappeler une sorte d'avant-poste de bandits ou une grotte de voleurs. Ce n'était pas le cas. Il s'agissait de quelque chose de tout aussi dangereux : une bande de mercenaires sans contrat qui n'attendait que l'occasion de se faire un bon pécule.
Une fois satisfait du travail de son camarade, Kandos l'arrêta, se regardant brièvement dans le reflet d'un seau d'eau à ses pieds avant de se laver le visage pour se débarrasser de la mousse à raser qui restait sur ses joues et son menton, se séchant ensuite avec une serviette. Après quoi il se leva, retournant à son bureau pour sortir d'un tiroir une bourse en cuir qu'il attacha avec précaution à sa ceinture. Posé contre son bureau se trouvait également ses armes rangées dans deux fourreaux dorsaux accrochés entre eux qu'il fixa dans son dos. Intrigué, celui qui rangeait le rasoir et le seau toisa son camarade d'un regard perplexe.
- Tu prépares une petite ballade Kandos ? On se fait tout beau et on s'arme jusqu'aux dents ... Tu es parti pour payer une petite visite à une énième jeune damoiselle mariée ?
Souriant à cette remarque, il fit venir à sa main la dague courbée qui était accrochée au mur, la faisant mouvoir rapidement avec sa magie jusqu'à ce qu'il enroule ses doigts autour du manche, avant de la ranger à sa ceinture, après quoi il se contenta de s'asseoir derrière son bureau.
- Dis moi, Faën, me penses-tu vraiment assez bête au point de ne pas savoir tirer des leçons de ce que la vie me jette au visage ? Allons ... Non, je me fie simplement à mon intuition, et elle m'intime d'être présentable aujourd'hui, déclara-t-il d'un ton quasiment prophétique en regardant la porte de la chambre.
[Valysie - Jan Drevel]Sans aucun doute, ne laissant la possibilité à personne de le nier, le froid hivernal était de retour et cela se ressentait particulièrement en Valysie. Tel Vatraen, au fil des millénaires, avait habitué ses vrais enfants à l’hostilité et la dureté du gel d'un Helkrose approchant à grands pas, mais cela ne l'empêchait pas d'atteindre des températures extrêmement basses capables de mettre ces braves Slaves à l'épreuve. Avec un tel temps, nul n'avait envie de sortir de la maison familiale et de s'aventurer dans le froid de l'extérieur, préférant davantage s'emmitoufler dans une peau bien chaude et de demeurer près du feu auprès de ses proches. C'est ce que Jan rêverait de faire alors qu'il se tenait devant la demeure du comte, priant pour ne pas succomber au gel.
Se tenant les épaules de manière à croiser ses bras qui se frottaient contre son corps pour contribuer à le garder bien au chaud, chose que son manteau de fourrure seul n'arrivait pas à faire, il attendait péniblement que l'on daigne venir lui ouvrir. L'hiver lui était alors comparable à un animal sauvage, venant lui grogner dessus par ses vents glacés qui s'occupaient aussi de lui mordre au visage en s'abattant dessus. Derrière la grille d'une première porte, plus petite, menant ensuite à un pont, se tenaient des gardes agglutinés autour d'un feu dont peu s'intéressait au sort du contremaître. Tous étaient plus préoccupés par leur propre résistance au froid, se réfugiant autour du foyer de chaleur en attendant les ordres.
L'ordre d'ouvrir à Jan, et ce même ordre tardait à venir. En effet, le Slave avait été convoqué ici par son seigneur Valysien, le comte local, qui avait apparemment à faire avec lui. A propos de quel sujet, Jan n'en avait aucune idée, bien qu'il se doutait que cela devait peut-être avoir un rapport avec son métier de contremaître des bûcherons du village voisin, et il se mit à se demander ce qui pouvait lui être reproché ou demandé. Cela n'empêchait pas de le voir commencer à s'impatienter alors qu'il attendait maintenant comme un pique depuis une trentaine de minutes. Les gardes avaient refusé de le faire entrer sans qu'ils n'en aient précédemment reçu l'ordre, et ils le laissèrent accumuler de l'envie à les observer se réchauffer autour de leur feu de camp.
[Issling, Selvya - Élise Hellatoris]Ce matin là, et comme chaque matins depuis des centaines d'années, le soleil venait à peine pointer le bout de son nez que l'immense capitale d'Issling reprenait déjà son rythme de vie habituel. Les commerces étaient ouverts, les tavernes pullulaient de monde, les rues grouillaient de la populace allant et venant, des gigantesques foules dans lesquelles se perdaient d'humbles voyageurs qui, étant simplement de passage, se remémoreront jusqu'à la fin de leur vie le jour où ils furent submergés par cette marrée humaine. Il ne fallait pas s'attendre à moins de la part d'une telle ville millénaire.
Ce matin là, et comme chaque matins depuis des centaines d'années, les oiseaux de l'aube venaient chanter de leur douce musique sous les fenêtres du triste palais impérial sans empereur. L'insistance des oiselets ainsi que le passage de quelques dames de chambre qui vinrent remplir le bain vide à l'aide de seaux d'eau chaude finirent par la sortir de sa torpeur. Quand elle ouvrit les yeux, les servantes avaient déjà quitté la chambre, leur tâche accomplie, et fermèrent la porte derrière elles. Élise se permit un petit instant de flemmardise dans son lit avant de se redresser de manière à être assise, baillant en se frottant les yeux. Poussant la couverture sur le côté, elle sorti alors de son lit avant de marcher jusqu'à la fenêtre encore fermée de sa chambre. Elle l'ouvrit avant d'en écarter les volets, laissant l'air frais la réveiller davantage ainsi que les rayons du soleil qui l'aveuglèrent pendant un instant. Posant ses bras contre le rebord en marbre de sa fenêtre, elle se pencha un peu en avant afin de se permettre de voir ce qui pouvait se passer plus bas, dans la grande cour du château. Mais depuis quelques années, il n'y avait plus rien à y voir, mis à part les incessantes patrouilles de gardes qui allaient et venaient entre l'intérieur du palais et les murs d'enceinte.
S'en lassant bien rapidement, elle se redressa et s'en alla profiter de la chaleur du bain chaud à sa disposition. Se dénudant, Élise retira sa robe de nuit, la déposant sans délicatesse sur une chaise avant de se rendre près du bain. Mettant un doigt à la surface de l'eau, elle s'assura de la bonne température de sa baignoire avant de l'enjamber, y déposant un pied, puis l'autre, pour finir par s'allonger confortablement dedans. Elle ne perdit pas beaucoup de temps à se détendre et se mit surtout à l'oeuvre, frottant sa peau à l'aide d'un gant et de savon dans des gestes et une attention très délicate. Elle savonna ainsi ses bras, ses jambes qu'elle ressortit de l'eau et les autres parties de son corps qui l'amenèrent souvent à devoir "émerger" et se redresser à genoux. Après quoi elle se rinça avec l'eau qui était à sa portée dans un autre seau laissé là, et s'abandonna finalement à volonté de rester un peu à flâner dans l'eau qui était bien confortable au contact de sa peau.
Finalement, elle parvint à se convaincre de sortir de là, se séchant alors rapidement à l'aide d'une serviette. Au même moment, son regard croisa son reflet dans un miroir. S'arrêtant soudainement, elle posa la serviette contre le rebord de la baignoire et s'approcha du grand miroir collé contre un mur, qui se dépeignait d'un air assez ancien mais dont l'image reflétait restait parfaite et propre. Une fois devant, occupant alors une bonne partie de la réflexion, Élise se tint immobile et muette, posant sa main droite sur son bras gauche qu'elle se mit à lentement caresser. Un air assez mélancolique nuançait son visage, mais cette image triste n'était pas due à ce qu'elle voyait de son corps. Se voyant elle-même, elle subissait simplement un coup de sa mémoire qui la fit ressasser le passé dans un moment où elle sentait que le temps s'était arrêté et n'avait plus de valeur. Il pouvait peut-être s'écouler des secondes, des minutes, des heures, elle se sentait comme emprisonnée dans une boucle où un sablier figé lui laissait tout le temps de réfléchir.
Ces idées noires s'envolèrent rapidement quand elle put apercevoir Adu dans le reflet, assis derrière elle sur la chaise où elle avait déposé sa robe de nuit. Comme d'habitude, il avait la même apparence, celle d'un homme encapuchonné dont le haut du visage n'était pas visible et qui était teint de cet éternel air mystérieux et poussant à la perplexité. Quand elle vint à se retourner, il ne se trouvait plus ici, comme ayant simplement disparu.
Élise ne perdit pas plus de temps, s'attelant alors à se faire présentable et se mit à s'habiller. Après avoir enfilé ses sous-vêtements, elle réaccrocha sa chaîne autour de son cou, puis enfila sa chemise blanche dont elle arrangea bien le col, fixant ses brassards de cuir au bout des manches avant de mettre par dessus sa veste sur laquelle était toujours accrochée sa broche. Elle mit ensuite sa jupe en faisant bien attention de ne pas la froisser, faisant rentrer sa chemise dedans tandis que la veste passait par dessus et qu'une ceinture vint tenir le tout. Une fois prête, elle s'assit à son bureau, sortant d'un tiroir un encrier et une plume ainsi qu'un parchemin. Cela faisait un moment qu'elle s'était mis en tête de faire cette lettre afin de relancer une correspondance qui n'avait pas connue d'activité depuis un certain moment. Réfléchissant un instant, elle joua avec la plume qui se balançait entre ses doigts avant de se lancer.
Cher père,
Cela fait maintenant si longtemps que je ne vous ai pas écrit de lettre que je m'en suis retrouvée rouge de honte.
Aussi ce matin, bien car le cœur m'en dit, me suis-je mis à vous composer ces quelques mots.
Il est vrai que le temps est de mon côté et que j'ai la liberté d'en faire ce qu'il me chante, mais je n'en ai pas profité.
Je suis sûr que vous êtes conscient de ce qui motive mon refus de me rendre en notre demeure afin de vous voir en personne.
Tellara accueille en son sein un baril de poudre dont je pourrais être l'étincelle par ma seule présence, et cela je le refuse.
Inutile de le cacher, j'en suis fort attristée et cela me peine de ne pas avoir vu depuis tant d'années la demeure qui m'a vue grandir.
Je préfère cependant en conserver l'image de calme et de sérénité qui y régnait, et que j'espère, règne encore depuis mon départ.
Ici, à Selvya, mes journées ne sont pas de tout repos, et comme vous devez sûrement le deviner, je suis sans cesse demandée.
Récemment, j'en suis venue à porter mon aide à votre ami, le général Myrion, qui m'a d'ailleurs demandé de vous transmettre son bon souvenir.
Entre renégats de l'Helshaar et imminents problèmes politiques et économique, j'ai très peu de temps à consacrer à notre correspondance.
Mais soyez assurez, mon noble père, que votre fille dévouée ne cesse de penser à vous ainsi qu'à sa famille qui ne cesse de lui manquer.
Je vous somme de transmettre mes vœux les plus sincères à mère, pour qui j'espère vous restez toujours aussi bon et courtois.
Je vous somme de transmettre mes vœux les plus sincères à Eurion, que je félicite pour la naissance de son deuxième enfant.
Je vous somme aussi de transmettre mes vœux les plus sincères et aimants à mon frère Marcellus.
Vous connaissez mieux que quiconque la relation tumultueuse que nous partageons depuis maintenant plus de quinze ans.
Mais sachez que je n'ai jamais cessé de l'aimer et que je suis toujours aussi abattue de savoir qu'il me voue encore de l'aigreur.
Je prie également afin que vous restez en bonne santé, et que vous puissiez continuer d'écouler de nombreux jours heureux à Tellara.
Acceptez cette lettre avec laquelle s'accompagne l'amour inconditionnel et le géant respect que je vous porte,
Votre fille dévouée, Élise.
Devoir et Gloire.
Une fois sa lettre finie, Élise s'arrêta un instant, respirant un grand coup en se faisant craquer les doigts, avant de se tourner sur le côté, face à la porte de sa chambre, à côté de laquelle se trouvaient plusieurs caisses empilées où s'était à nouveau assis Adu. Ce dernier l'épiait sans la regarder, l'observait sans avoir les yeux pour et semblait ... attendre. Élise le toisa d'un regard similaire, légèrement teinté d’agacement. Face à lui, elle détestait cette obligation d'être celle devant engager la conversation.
- Épargne-moi ta lugubrité, par pitié ..., fit-elle lasse en se levant et laissant son parchemin à l'air libre pour que l'écriture puisse sécher.
Élise se saisit d'une coupe qui se trouvait sur une table derrière elle où se trouvait une carafe encore rempli de vin et dont elle versa la précieuse boisson dans son verre, s'asseyant alors à cette table de manière à être face au Maître du Temps qui avait changé d'emplacement lorsqu'elle le quitta des yeux pour le redécouvrir également attablé à un bon mètre d'elle.
- Bien que tu m'aies accompagné depuis que je suis toute petite, je ne suis toujours pas habituée à ça. Ton regard que l'on ne peut pas voir mais qu'il est possible de deviner. Il est très, très irritant.
Un geste étrange de sa part faisait penser qu'il avait légèrement redressé la tête, comme se concentrant et se mettant à écouter avec attention ce que lui disait sa lointaine descendante. Aucune réaction n'était visible, que ce soit du mouvement de ses joues ou de sa bouche, rien ne se mua en expression d'amusement ou de colère, d'indignation ou de gêne.
- Tu ne cesses donc jamais de te plaindre Élise. Tu es née noble certes mais cela n'était pas assez. Tu aurais du venir au monde princesse avec un crâne serti d'un diadème, alors ton attitude désobligeante envers moi aurait peut-être une once de crédibilité. Au lieu de cela, tu ne ressembles à rien d'autre qu'une enfant capricieuse.
- Et maintenant tu m'adresses des reproches ? Je rêve ...
- J'ai maintes reproches à ton égard. Qu'attends-tu exactement ? Il semblerait que je n'arrive pas à lire quelconque volonté de ta part de continuer tes recherches ou de te lancer sur quelque chose de concret. Tu me fais perdre mon temps, et cela m'est quelque chose de précieux car, aussi paradoxal que cela puisse paraître, je n'en ai plus, et devoir subir ta paresse et ta nonchalance me désespère au plus haut point. Dis-le moi maintenant, comptes-tu continuer ou tu n'envisage que de me faire perdre mon temps ?
Élise poussa un long soupir qui prit la place d'un juron qui aurait voulu s'échapper de son esprit, avant de boire à sa coupe en croisant les bras d'un air toujours aussi las.
- J'en ai fait déjà tant Adu. Cela ne te suffit pas ?
- Non. Ce n'est pas assez. Certes, tes efforts furent colossaux, mais désormais tu ne fais plus rien. Ton progrès n'évolue pas, tout est au point mort et- ...
- Assez.
L'impatience l'avait rapidement habité. La mage ne fit pas paraître son ire grandissante sur son visage, mais son ton était assez sec pour faire comprendre qu'elle n'en entendrait pas plus.
- Élise, je veux que tu comprennes que- ...
- J'ai dit, assez.
Adu la fixa longuement avant de hocher la tête dans un semblant de courbette. Élise ressentit la nécessité de fermer les yeux, et une fois qu'elle cligna, Adu avait disparu de son champ de vision, la laissant à nouveau seule dans cette pièce. Ne disant rien, fixant simplement le bois de la table, elle se nettoya l'esprit de cette discussion en reprenant une autre gorgée de vin.
Dernière édition par Varegue le Dim 10 Juin - 20:24, édité 1 fois