Darzna na Anzal - Guerre et Paix

[Yuri] [Valysie (Est)]


Yuri se concentrait tant à comprendre qu'il ne pouvait formuler une réponse. Son regard était vague, ne se déposant sur son interlocuteur que lorsque celui-ci finissait une phrase. Les deux Slaves, cachés au fond d'un bâtiment, échangeant à voix basse comme des comploteurs, partageaient donc ce ressenti d'injustice. Mieux: le libraire avait mis en forme des émotions amorphes, mystérieuses pulsions de rébellion dont Yuri ne connaissait pas la source exacte. Et par la même occasion, il fit germer dans l'esprit du garçon une idée inédite. Un peuple entier se liguant contre les tyrans: il devait y avoir un mot pour ça.

Le garçon n'avait rien à ajouter, et ne voulait surtout pas ruiner un discours puissant par une remarque frivole. Alors, il demeura muet.

l'Orient valysien - Vali Yuri

Le libraire afficha un sourire gêné.

- Sans indiscrétions, comment vous appelez-vous ? Quel est votre âge ?

[Yuri] [Valysie (Est)]


L'hésitation de Yuri fut courte. Il n'était pas raisonnable de craindre que le libraire le livrerait aux autorités après ce qu'il venait de dire.
- Yuri. Vali Yuri. Et j'ai 18 ans.
Puis:
- Je ne vous ai pas demandé votre nom... ?

[Hassling - Ozgë]

Les sens aiguisés de la jeune chasseuse n'auraient jamais raté une aussi grande piste. Bien que ses maîtres et ses aînés lui avaient enseigné le pistage ainsi que la manie de lire ce qu'hurlaient des traces de pas des bêtes et animaux sauvages qu'elle avait pu chasser, elle n'avait jamais appris à faire la même chose pour les pas d'un humain. La chose n'était pas vraiment très différente mais se révéla quand même plus compliquée pour Ozgë qui n'avait jusque là que lu à travers ce que trahissaient les restes du passage d'une créature de la forêt. Cependant, cela restait une sorte de trace de civilisation, qu'elle s'avisa de suivre afin de se diriger vers la sortie de cette forêt.

Hassling - Ozge

Les traces de pas menèrent Ozge vers un étrange itinéraire, qui la conduisit jusqu'au sommet de la cascade qui surplombait la clairière. Elle aurait pu conjecturer à l'envi sur le caractère incohérent desdites traces de pas que l'auteur de ces derniers s'aperçut. Juchée sur l'éminence rocheuse d'où tombait la cascade, une jeune femme se révélait à l'étrangère, éclaboussée d'écume, illuminée par le rayonnement sanglant du soleil. C'était une jeune fille ; à moins qu'elle ne fut l'une de ces nymphes qui peuplaient ces lieux bucoliques. D'une peau dorée, plutôt que bronzée, elle était grande, sans excès, et mince, et son visage laissait entrevoir comme un rêve une pureté singulière et originelle. Elle affirmait avec audace sa féminité à la face de ce monstrueux soleil rouge, entièrement nue, sans autre ornement qu'une longue chevelure tissée de fils d'or et chatains qui lui tombait sur les épaules. Nul n'aurait été présentement enclin à se laisser abuser par un mirage, en dépit de ceci. Il était évident que la femme qui se tenait là, immobile sur son piédestal, possédait le corps le plus voluptueux qui aurait pu se concevoir dans les terres natales de la jeune inrelith. Debout, penchée en avant, la poitrine tendue vers elle, les bras légèrement relevés en arrière dans l'attitude d'une plongeuse qui prend son élan, elle observait Ozge et sa surprise devait égaler la sienne.

[Hassling - Ozgë]

L'attention de l'inrelith, principalement concentrée sur la piste qu'elle suivait, la transformait en une véritable traqueuse, accroupie, le visage bien tourné vers le sol tandis qu'elle analysait chacune de ces étranges traces de pas. Aussi, une certaine surprise lui éclata au visage quand les bruits l'entourant finirent par lui faire lever la tête et découvrir ... la créature qui se tenait face à elle. Ce n'était pas vraiment ce qu'un chasseur s'attendait à débusquer au bout d'une traque, mais sûrement un grand nombre d'entre eux aurait voulu que ce soit le cas. Ozgë se retrouva comme paralysée pendant l'espace de quelques secondes où plusieurs émotions se lisaient sur son visage. Tout d'abord bien évidemment, une immense surprise s'imprégnait dans l'air ébahi de son visage, de sa bouche entrouverte et de ses yeux écarquillés. L'inrelith n'était pas vraiment au courant des canon esthétiques qui régissaient l'idée de la beauté dans le reste du monde, mais ce qui se trouvait face à elle émerveilla son esprit de sauvageonne. Sans qu'elle ne dise un mot, son corps parlait pour elle : ses yeux grands ouverts, ses joues devenant légèrement pivoine, ses mains tremblantes ... Le choc se combina à un soudain sentiment d'humilité qu'elle ne saurait expliqué. Enfin, c'est une certaine peur qui la fit faire un pas en arrière. Elle n'avait pas peur de la mystérieuse jeune femme, elle n'avait pas peur du mal qu'elle pourrait lui faire. Non, elle était effrayée de lui faire prendre peur, tout comme un chasseur évite d'affoler un cerf afin qu'il ne prenne pas la fuite.

C'est la déesse de ce lieu ? se questionna son esprit troublé par cette vision. La jeune inrelith ignorait en partie les us et coutumes religieuses de la région, mais si à l'instant quiconque lui affirmait que c'était une divinité qui se trouvait face à elle, elle n'aurait sûrement pas douté de la véracité des mots de l'inconnu.

Hassling - Ozge

Il y avait dans le regard de l'inconnue un élément nouveau qu'Ozge put remarquer, décelant là un une nuance étrange, mystérieuse, à laquelle elle aurait pu s'y attendre dans un monde aussi éloigné du sien. Il aurait été surprenant qu'elle soit capable d'analyser et même de définir la nature de cette étrangeté. Elle pouvait malgré tout sentir une différence essentielle avec les individus de sa race. Elle ne tenait pas à la couleur des yeux : ils étaient d'un or certes peu courant, mais non exceptionnel. L'anomalie résidait dans leur émanation : une sorte de vide, une absence d'expression analogue à la démence. Lorsque la jeune femme s'aperçut qu'elle était elle-même un objet de curiosité, plus précisément lorsque son regard rencontra celui d'Ozge, elle parut recevoir un choc et se détourna brusquement, d'un geste instinctif aussi prompt que celui d'un animal apeuré. Ce n'était pas par pudeur d'être ainsi surprise ; il eut été, semble-t-il, extravagant de la supposer capable d'un tel sentiment. Simplement, il semblait que son regard ne supportait pas ou ne pouvait soutenir le sien. La tête de profil, elle épiait à présent l'étrangère à la dérobée, du coin de l'oeil.

Dernière édition par Templar le Dim 15 Avr - 2:29, édité 1 fois

[Hassling - Ozgë]

- Euh ... Je ...

S'éclaircissant la gorge, elle n'eut pas besoin de minutes de plus en réflexion pour comprendre la gêne qu'occasionnait l'insistance de son regard. Elle ne se le reprochait pas, en se basant sur le principe qu'elle n'a pas à s'en vouloir de se délecter d'une vision aussi plaisante. Mais elle comprit qu'elle avait surtout l'air d'être une bête sauvage épiant sa proie avant de se jeter dessus. Ozgë préférait ne pas se comparer à un animal et encore moins à une barbare capable de s'en prendre à une telle personne. Aussi finit-elle par détourner le regard, dans l'espoir d'alléger ce malaise qui semblait peser.

- Pardon, parvint-elle à balbutier derrière son fort accent.

Hassling - Ozge

Elle avait parlé d'une voix étranglée par l'émotion, presque basse ; mais la jeune femme l'entendit et le son de sa voix produisit chez elle un effet singulier. Elle eut un mouvement de recul subit, si presque que l'on aurait pu le comparer encore au réflexe d'un animal apeuré, hésitant avant de prendre la fuite. Elle s'arrêta toutefois après avoir fait deux pas en arrière, les rochers cachant alors la plus grande partie de son corps. Dès lors, on n'y distinguait plus que le haut de son visage et un oeil qui l'épiait encore. Néanmoins, à l'issue de quelques minutes, elle s'avança de nouveau au bord de la cascade.

l'Orient valysien - Vali Yuri

- Je m'appelle Shayev Jlatowsjak. J'ai vingt-trois ans, répondit-il. Pourquoi êtes-vous parti de l'Ouest ? Les terres y sont grasses et le climat doux et agréable, ajouta-t-il, perplexe.

[Yuri] [Valysie (Est)]

- J'y suffoquais, soupira-t-il. Les journées s'y ressemblent toutes. On n'y a pas de projet d'avenir; vivre là où je vivais, c'est comme mourir.

Il ajouta:
- Ici, tout est différent. En à peine deux jours, j'ai l'impression d'avoir vécu davantage que durant mes dix-huit années.

l'Orient valysien - Vali Yuri

- Oui, bien sûr. Pendant qu'on y est, ici, la cigogne claironne sous un ciel sans nuages, les petits oiseaux récitent leurs mélodieuses prosodies, et dans nos tavernes, la mélasse a le goût du nectar. Vous devez être une sorte de réfugié ou quelqu'un qui fuit la tyrannie d'un seigneur jaloux de son pouvoir. Ne me mentez pas.

[Yuri] [Valysie (Est)]

Il y eut un moment de silence méditatif. Puis, Yuri se résolut à dire toute la vérité.

- J'ai mis feu à ma maison sous une impulsion, et j'ai été témoin d'une apparition qui m'a poussé à fuir aussi loin que possible; pour échapper au tribunal d'une part, mais, et surtout, pour m'émanciper. Je ne vous ai pas menti. Le village m'aliénait tellement que j'essayais de me tuer sans le savoir. Et bien que cette ville soit plus dangereuse que tout ce que j'ai eu l'horreur de connaître dans le passé, que j'ai senti des yeux de brigands se poser sur moi dès que j'ai mis les pieds ici, que j'ai vu un homme se faire étrangler par une main coupée...

Il ne put achever sa phrase. Il eut peur de dire qu'il se sentait bien.

l'Orient valysien - Vali Yuri

- Une apparition ? Que dites-vous ? demanda l'homme en arquant un sourcil, qui soupira ensuite. Vous avez donc fuit la monotonie en croyant embrasser ici une vie exaltante, comme ces pauvres colons convaincus qu'un avenir radieux les attendait dans cet Est mythifié, et qui jamais ne cessent de se reprocher d'avoir fait ce choix. Vous auriez du rester à l'Ouest.

[Yuri] [Valysie (Est)]

A quoi bon débattre? , se dit Yuri. Il ne connaissait pas l'Est, et le vendeur ne connaissait pas l'Ouest. Chacun préférait vivre là où il n'avait pas grandi: c'était un ressenti légitime des deux côtés.
- Je ne retournerai pas là-bas, acheva Yuri, qui sortait en même temps son carnet de dessin et un vieux crayon.
Depuis quelques heures, il sentait son Énergie s'agiter graduellement, comme un tourbillon naissant. Un état d'âme sûrement favorable à ce qui allait suivre.
Yuri commença son explication quant à l'apparition, ne se doutant pas que l'homme ne l'ait pas pris au sérieux. Tout en parlant, il dessinait un simple bonhomme en bâtons sur une feuille vierge.
- Mon carnet était ouvert sur cette même page, où figurait ce même dessin que je viens de reproduire...
Il posa sa main dessus, attiré par une force mystérieuse. Ses pupilles se dilataient.
- Et, je ne sais pas comment, il est venu à la vie.

Il y eut un léger éclat, et un bonhomme en bâtons se tenait sur le carnet, sa petite tête tournée vers son maître. Ce dernier devint si blême qu'on eût dit un mort.

l'Orient valysien - Vali Yuri

- Quel étrange Maenir, j'en ai rarement vu comme tel, susurra-t-il d'ébahissement. Pour un artiste, c'est l'expression la plus poétique de son art que d'insuffler la vie à ses créations. Êtes-vous capable de faire quelque chose d'autre ?

[Yuri] [Valysie (Est)]

Ses yeux écarquillés faisaient des aller-retour entre sa création et le vendeur.

- Je ne comprends pas... bégaya-t-il. Comment est-ce possible?

Le bonhomme en bâtons s'était assis et semblait regarder ses bras, comme s'il se découvrait, reflétant son créateur.

l'Orient valysien - Vali Yuri

- La créature et son créateur, sourit Shayev. Ce petit bonhomme possède-t-il sa conscience propre ?

[Yuri] [Valysie (Est)]

Le choc cédait petit à petit la place à l'excitation.
Le bonhomme tournait la tête vers Yuri, et Yuri vers lui.

- Je ne sais pas, répondit-il. On ne dirait pas, à le voir.

Le bonhomme ne faisait rien d'autre que de fixer son maître.

- Mais peut-être qu'il m'obéit. Petit bonhomme, tiens le crayon...

Il s'exécutait, certes avec peine, sous un regard d'enfant.
Yuri ne se remémorait pas un souvenir plus heureux.
Lui, un être spécial? Capable d'invoquer un dessin?
Il souriait et ses lèvres tremblaient, tandis que le bonhomme
Tenait son crayon en bois et le maniait comme une épée.

l'Orient valysien - Vali Yuri

- Vous seriez capable d'en créer plusieurs et de les différencier ? interrogea le libraire, dont l'attention était focalisée sur cette petite créature.

[Yuri] [Valysie (Est)]

- Essayons, murmura Yuri, déjà occupé à dessiner des petits bonhommes à la chaîne.

Ils apparurent les uns après les autres.

- Je sens que chacun a son identité propre, mais sans avoir d'identité du tout. Je ne sais pas comment l'expliquer. Mais je saurais les différencier.

Les bonhommes se regardaient les uns les autres, très curieux.
Yuri commençait à transpirer: invoquer consommait de l'énergie. Cela ne le dissuadait pas, pourtant, et, arborant toujours un grand sourire:

- Et si j'essayais quelque chose de plus complexe?

l'Orient valysien - Vali Yuri

- Oui, vous devriez vous essayer à quelque chose de plus complexe. Seriez-vous capable de développer leur intelligence ?

[Yuri] [Valysie (Est)]

- Je ne vois pas comment ça pourrait marcher. Pour qu'ils aient une conscience propre... il faudrait définir le terme.

Yuri resta pensif.

- Peut-être que leur développement mental se fait au moment de leur élaboration physique; en d'autres mots, quand je les dessine.

Il fit un signe de la main, comme pour dissiper une brume: les bonhommes disparurent.

- Je vais en faire un et penser très fort à ce que je veux qu'il fasse. Disons... Tiens, j'ai une idée. Un chien qui devra m'apporter mon crayon.

Il se mit à l’œuvre.

- Cela risque de prendre du temps, parce que j'imagine que si son anatomie n'est pas parfaite, il risque d'avoir du mal à se déplacer. Je ne veux pas créer une abomination.

Il commençait par des esquisses, des contours, et les traits défilaient avec frénésie, comme s'il s'appliquait de toute son âme. Concentré au maximum, il semblait néanmoins avoir la capacité de déployer son esprit sur les environs. Il y avait deux Yuri: l'artiste, et le garçon qui discutait avec un ami. C'était déconcertant.

- Je pensais que ce genre de capacités étaient réservées aux mages ou aux individus comme Krum. Qu'il fallait être de grande naissance et travailler dur... D'où ma surprise. Mais visiblement, vous en savez davantage que moi. Vous avez employé un mot qui m'était inconnu, plus tôt. Maenir?

En même temps, il répétait mentalement: "Trouve mon crayon et rapporte-le moi..."

l'Orient valysien - Vali Yuri

- Le Maenir est ce pouvoir qui a trait à l'individu, à son individualité. Elle lui est propre. Rare sont ceux qui parviennent à en éveiller un tel que le vôtre, au point que je m'interroge sur vos origines. L'un de vos ancêtres devait être exceptionnel. Ceci devrait expliquer cela. À moins qu'a l'image de nos seigneurs, vous avez été béni à la naissance, fit-il, perplexe. Êtes-vous superstitieux ?

Dernière édition par Templar le Mar 17 Avr - 15:01, édité 1 fois

[Yuri] [Valysie (Est)]



Entre deux traits de crayon:

- Je me suis toujours fié aux signes, sûrement parce que j'ai toujours eu envie que ma vie soit intéressante, comme celle d'un héros. Une chose amusante: imaginez que toute notre vie soit un roman. Généralement, lorsqu'on en écrit un, la fin est ancrée dès le début: c'est surtout tout l'intermédiaire qui fluctue. Alors, imaginez-vous, assis dans la librairie, une plume à la main, prêt à écrire sur la vie de je-ne-sais-qui. Ne seriez-vous pas tenté d'inclure de petits indices, de petites farces enfin, au début du récit, qui renvoient directement à la fin? J'avais songé à écrire un livre qui sonnerait comme suit (je pense d'abord à des idées particulières, des scènes précises qui me plaisent, avant de peindre un tableau d'ensemble): dans ses premiers chapitres, je décrirais un chevalier s'adonnant à une gourmandise franchement vile. Il mangerait et consommerait du vin à s'en rompre les reins, entouré de femmes. Maintenant, on avance rapidement vers la résolution du récit: en changeant quelques mots, mais en faisant en sorte que la phrase renvoie à celle que je viens de décrire, je présenterais ce même personnage démuni de tout, mourant de faim, et habillé comme un mendiant. (il marqua une brève pause). Je parle beaucoup; dessiner me délie la langue. Ce que je veux dire, c'est qu'un écrivain subtil pourrait placer dans nos vies des signes discrets renvoyant à une condition future, et c'est ce que l'on appellerait destin.

Transparaissait dans son discours l'euphorie engendrée par la découverte de ses pouvoirs.